Venez ! Je vous mène en bateau !
Par Jean-Christophe Duval
Partons du principe que je sois entrepreneur. Je souhaite créer mon entreprise, mais je n’ai pas d’argent. Je vais voir mon banquier pour lui demander de me prêter quelque monnaie (créée ex nihilo (il ne sait pas que je le sais ! hihi ! )) pour lancer mon entreprise.
Bien sûr, mon futur partenaire financier (le banquier) désirera s’assurer du minimum de risque dans cette aventure. Il exigera que je lui présente un projet commercial solide, un compte de résultat et un bilan prévisionnel irréprochables. Ce qui lui permettra de définir le risque de mon projet et son acceptabilité financière.
Première hypothèse
Imaginons que je désire faire un navire de pêche. Les poissons (l’or blanc) que je ramènerai au port seront ma marchandise qui sera bientôt mon chiffre d’affaires. Ce projet s’inscrit dans un domaine extractif. Il ne consiste qu’à prélever, transformer, emballer, transporter, importer, communiquer, vendre, des ressources naturelles (ici, le poisson) que la nature nous fourni de manière « gratuite » en des choses à vendre dans le monde des hommes. Ce projet dispose donc de marchandises ou de services afférents de près ou de loin à la marchandise, il s’agit donc bien d’un projet « marchand et extractif ». C'est sur ce point que se situe la rentabilité et donc, la pertinence économique de mon projet.
Comprenons que toutes les choses qui sont transformées sur nos établis ou dans nos usines ne sont rien d’autres que des choses prises à la nature (les matières premières). Que nous soyons transporteurs, logisticiens, plombiers, accessoiristes, marins pêcheurs, comptables, communicants, importateurs, etc, nous ne sommes que des professions posées sur les maillons d’une chaîne, et le premier maillon de cette chaîne c’est l’extraction ! Autrement dit, si en début de chaîne l’extraction n’existe pas alors, cette chaîne n’existe pas ! Et toutes les professions posées sur cette chaîne n’existent pas non plus ! De façon directe ou indirecte, « No one is innocent ! ».
Seconde hypothèse
Imaginons maintenant que je souhaite créer un navire dont l’objet n’est pas extractif mais régénératif. Ici, mon projet serait un navire de dépollution des océans. Le problème ici c’est qu’il n’est pas question de prélèvement de matière vendables mais au contraire, de plastiques et de déchets qui se sont retrouvés dans la mer, précisément parce que notre économie, poussée à "l’hyper-gestion par la dette", est incapable d'y donner quelconque valorisation. Tous les déchets qui se trouvent dans nos océans ne sont que le témoignage d’un productivisme et d’un consumérisme à outrance, absurde, égoïste ; nous (sur)produisons en polluant parce que cela rapporte et nous ne réparons pas les conséquences de nos productions parce que cela coûte !
Les mers et les océans semblent être des endroits où des hommes pressés de réussir dans le cadre de la gestion « sous l’ordre de la dette » se permettent des choses absurdes. Si l’argent est rare (et cher) parce qu'il est une dette, il convient d’en faire l’usage le plus rentable qui soit ! C'est ainsi que les hommes se sentent le droit "de glisser la poussière sous le tapis".
Un projet de navire de dépollution est de faire exactement le contraire du prélèvement de ressources naturelles en vue de leur transformation en commerces. Il est au contraire, de rendre un service « altruiste et désintéressé » à la nature, de la réparer, sans qu’il n’y ait en contrepartie en termes de prélèvements. Bien évidemment, comme ce projet est déconnecté de la marchandisation de l’extraction, le banquier se questionnera sur sa rentabilité et à moins d’être subventionné par tel ou tel organisation étatique, ce projet sera jugé non-rentable.
Nous voyons ici que la rentabilité ne provient de rien d’autres que de la marchandisation des ressources naturelles. Prélever rapporte, tandis que réparer coûte et ne rapporte pas ! Vous comprenez ici pourquoi les hommes sont tellement négligents avec le bien commun. Nous sommes enfermés dans un paradigme économique où les élites ne perçoivent pas les conséquences désastreuses de ce mode de fonctionnement. Nous sommes enchaînés à un système économique dont le seul mode de fonctionnement est la diffusion d'une dette qui nous obligera souvent à des activités extractives dans le but de la rembourser. Les activités liées de près ou de loin aux prélèvements de ressources naturelles semble être les seules façons de rembourser une dette.
On entend souvent dire que la transition écologique est compliquée à financer. « Compliquée » est un euphémisme tentant de maquiller le terme « impossible » ! Du moins, sous l’égide de notre système monétaire et financier actuel. Quel investisseur serait capable de donner de son patrimoine « à fonds perdus » pour financer des projets « qui coûtent et ne rapportent pas » ? Le dilemme ici n’est pas une question d’humain, car les humains sont naturellement guidés par leurs intérêts particuliers ("découverte du prix" et "préférence pour la liquidité"), il est une question de méthode ! Nous devons inventer une méthode de financement « plus haute » que l’intérêt particulier.
Le paradoxe de notre système monétaire actuel est qu’il nous oblige à faire des choses auxquelles nous devrions mettre un terme (utilitarisme marchand irrationnel, créer et faire perdurer des problèmes pour faire perdurer le commerce de solutions, etc.) parce que c’est rentable, et nous interdit de faire des choses que nous devrions faire (transition écologique, humanitaire et sociale) parce que ce n’est pas rentable.
Nous avons affaire à des gens qui ont toujours l’air de nous dire que si ce n’est pas rentable de sauver le monde alors ce n’est pas utile de le sauver ! Le bien commun, c’est ce que tout le monde bousille parce que cela rapporte et que personne ne répare parce que cela coûte !
L'utilité semble n'être que la condition de la rentabilité. Mais la rentabilité est un endroit où se concilient difficilement économie et écologie !
Les hommes ne polluent pas pour le plaisir de polluer, ils polluent tout simplement parce que c'est la manière la moins coûteuse de produire !
Ronald H. Coase.
Et si nous inventions un organisme dédié à la création du chiffre d’affaires d’entreprises dont l’objet n’est pas de prélever des ressources naturelles, mais au contraire de la régénérescence de la nature !? Ne serait-ce pas une nouvelle façon d’envisager l’économie que de créer une nouvelle façon de produire du chiffre d’affaires ? De créer des vocations ? De redonner un nouveau sens à l'utilité ?
Comprenons que dans notre économie actuelle, c'est la nature qui, par le pillage des ressources naturelles nous permet de faire tourner nos systèmes économiques motorisés par une dette de banques. Actuellement, c 'est donc la nature qui "paye le chèque" de notre croissance ! Mais si nous voulons réparer la nature avec des activités dépourvues de production de marchandises, la question sera : "Mais alors ? qui paye le chèque ?".
Je discute qu’il ne relève que de la croyance, de la certitude, de la « vue de l’esprit », que la richesse ne saurait provenir de nulle autre chose que de la marchandisation de ressources naturelles. Ce n'est qu'une vision primitive du matérialisme, et ce n'est que de la psychologie, un paradigme mental ! Simplement parce que depuis la nuit des temps, nous n'avons toujours fait que ceci : "Prendre" enrichit et "réparer" coûte ! Pourquoi nous sommes-nous enfermés intellectuellement dans un système économique où la croissance économique semble ne provenir de rien d’autre que de l’extraction, du prélèvement et de la marchandisation de choses prises à la nature ? À priori, si la réparation de la nature coûte et ne rapporte pas, c’est précisément parce c’est un endroit où la marchandise n’existe pas !?
Mais alors ? Et si on créait du chiffre d’affaires à un endroit où la marchandise n’existe pas ?
Écrire commentaire