La monnaie... Endogène ou exogène ?
Par Jean-Christophe Duval
"Ce sont les crédits qui font les dépôts" disait Schumpeter. Les banques ne prêtent pas la monnaie de leurs épargnants, elles créent de la monnaie lors du crédit et détruisent cette monnaie lors de son remboursement. Nous verrons plus tard le fonctionnement de ce processus, ce n'est pas le sujet du jour.
On peut trouver immoral et scandaleux que la monnaie soit créée à partir de rien (ex nihilo) par des banques privées commerciales. De surcroît, on pourrait même avoir des envies de meurtres "guillotinesques" en découvrant que les états ne sont plus maîtres de leurs trésors pour financer leurs budgets, mais que ce sont les marchés (secondaires) qui en ont la fonction, moyennant évidemment un lourd intérêt usurier (la dette souveraine).
Peu de gens tentent de mettre le nez dans les rouages obscurs de la monnaie. C'est probablement le sujet le plus abstrait de la science économique. Pourtant la compréhension de ceci relève d'une importance quasiment citoyenne. Comme on dit toujours, la politique c'est faire en sorte que les gens ne s'occupent pas de ce qui les regardes. Ici, patience et pédagogie sont donc de mise.
Ce que je souhaite et au-delà de l’aspect « moral », c’est me poser certaines questions sur cette méthode de création monétaire. Je me reposerais la question de cette moralité à la fin de ces questionnements.
Cette méthode est-elle pertinente ? Ne vaut-il mieux pas que les banques se cantonnent à prêter les dépôts de leurs clients ? La monnaie est-elle exogène ou endogène ? Ou les deux ? D’autres méthodes (MMT, 100 % money, Marxisme, TRM, TROC, etc.) sont-elles plus pertinentes ? Ce système a-t-il permis de résoudre certains dilemmes ? Tout en en créant d’autres ? Ce système est-il complet ? Est-il perfectible ? Pouvons-nous inventer un système monétaire capable de libérer les hommes de la "servitude pour dette", tout en étant capable de réaliser de grands projets sociaux, économiques, écologiques, humanitaires ?
Je pars du principe qu’aucun système ne peut être parfait, car la perfection ne saurait relever d’un monde matériel ; dès qu’il y a matériel il y a forcément imperfection (conflits, raretés, temps, luttes, facteurs animaux, psychologie, désirs et affects, etc.).Donc, il y a juste des systèmes qui sont moins mauvais que d’autres. Et il convient ici de mesurer le pour et le contre de chacun de sorte à se faire une idée bien précise de toutes les implications / ramification de conséquences que chaque système engendre. Nous allons commencer par analyser les rouages de la monnaie, puis nous survolerons les différentes idéologies et leurs implications dans la vie des hommes.
Pourquoi les banques ont-elles besoin de créer de la monnaie ? Les dépôts des épargnants ne sont-ils pas suffisants ? Je ne veux pas me faire l’avocat des banques, car je trouve que leur objet est vicié car leur méthode est incomplète. Tout en essayant de rester impartial, le but de ma recherche est précisément de cerner pourquoi les banques me semblent être des systèmes incomplets, injustes et engendrent des calamités que l'on ne perçoit pas sans avoir perçu les rouages et les conséquences de ce système de création.
Cette question qui ne date pas d’hier, relève du dilemme entre le caractère exogène ou endogène de la monnaie. Vers les années 1810 en Angleterre, il y eut débat entre les partisans du « currency principle » (exogène) et du « banking principle » (endogène). Le « banking principle » martelait que la monnaie doit être créée en fonction des besoins de l’économie, les réserves en épargnes (l'or à l'époque) n’étant pas suffisantes pour financer tous les besoins de la révolution industrielle naissante. En somme, il n'était pas possible de satisfaire tous les besoins en moyens de tous les projets en devenir de l'économie. Il fallait créer des moyens qui n'existent pas pour réaliser des choses qui n'existent pas encore.
On voit qu’il y avait des choses à réaliser, mais tant que les moyens « endogènes » de réaliser ces choses n’existaient pas, alors ces choses n’avaient aucune chance d'aboutir ou alors avec beaucoup plus de temps. Imaginons le cas où les banques ne prêtaient à l'économie que les dépôts (l'épargne), le peu de monnaie disponible empruntée par les uns devant nécessairement avoir été rendue préalablement pour pouvoir enfin être de nouveau disponible pour les autres. Au contraire, avec la création monétaire, c’est comme si l’on créait des moyens « à rebours » de réaliser des activités, des projets, de payer les salaires de ces gens avant même que l’objet de leurs labeurs (la production de marchandises) n’existe concrètement.
De surcroît, si une seule quantité de monnaie disponible est prêtée à un seul (ou quelques) acteurs, comment envisager que tous les autres acteurs dépourvus de moyens (de monnaie permettant la production de marchandises, de commerces et de chiffre d’affaires) n’ayant pas les moyens de créer eux-mêmes leurs propres business, puissent faire « tourner » les affaires de ceux qui doivent rendre la monnaie aux banques ? Cette création diffuse et multi-partie de monnaie endogène engendre une « émulation monétaire de production » (économie monétaire de production) où les crédits des uns serviront de chiffre d’affaires aux autres de façons cyclique et perpétuelle.
Tout cela est bien beau mais engendre d’autres dilemmes. Une servitude éternelle pour une dette usurière qui ne fera que gonfler et obligera les hommes à des productions de plus en plus absurde et polluante pour justifier des réussites économiques rendues possibles par une monnaie diffusée sous forme de dette à condition de la réussite. Le problème étant que cette réussite, c'est la nature qui en est le payeur en premier ressort.
De ce point de vue, la monnaie est « endogène », la monnaie est un facteur inhérent à des choix et des motivations en des projets économiques futurs. Comprenons bien que pour que de l’épargne puisse exister, il faut bien qu’il y ait eut un « précédent » économique permettant de produire cette épargne. On voit bien que la monnaie ne tombe pas du ciel, mais qu’elle n’est créée par les banques qu’à la condition d’actifs tangibles « à rebours ». C’est un peu comme le dilemme : Est-ce que c’est l’œuf qui fait la poule ou la poule qui fait l’œuf ? Faut-il créer des projets pour justifier l'existence de la monnaie ? Ou faut-il créer de la monnaie pour rendre des projets envisageables ? Sans « précédents » il n’y a que de la marchandise commune (dilemme de la double coincidence des besoins) et le troc ne va pas bien loin en termes de créativité pure et de motivation à faire travailler des hommes dans des projets où ils ne seront payés que lorsque le chiffre d’affaires sera là ; cela peut prendre du temps et on n’attire pas les mouches (les travailleurs) avec du vinaigre. il en faut de la croyance et de la motivation pour durer sans revenus. La motivation des hommes s’érode assez vite sans le moyen de payer leur "loyauté" sur un terme assez long pour produire des choses tangibles et commercialisables "à temps".
De très grandes choses ne sauraient exister dans un monde de troc, car le troc ne se limite qu’au tangible, qu’à l’existant immédiat. Le troc me semble incapable de réaliser de grandes recherches, de grands projets ; la sécurité sociale, la R&D, la Nasa existeraient-elles dans un système de troc ? Les banques ont ce rôle de créer un capital virtuel (monnaie-dette) avant que la marchandise ne soit concrètement là, et cette dette sera remboursée lorsque le chiffre d’affaires sera concret et l’entreprise devenue pérenne. Dès lors, la raison économique de l'entreprise sera de faire du chiffre d’affaires grâce à l’endettement des autres. Ce qui engendre d’autres problèmes que nous allons aborder plus loin.
La réussite (le désendettement) des uns ne peut se faire que grâce à l’endettement des autres, et ainsi de suite perpétuellement. Comprenons que les entreprises et les hommes pillent la nature pour rembourser leurs dettes et justifier leurs réussites économiques. C’est en cela que le modèle est destructif, dégénératif. Il n’y a pas d’équilibre entre le prélèvement de ressources naturelles et la réparation, la précaution de la nature. Pour justifier nos réussites économiques, nous ne faisons que prendre et piller sans jamais réparer.
Pour revenir à la question, pour les libéraux « monétaristes », la monnaie est au contraire « exogène » (la monnaie est un objet neutre et « extérieur » à l’économie). C’est-à-dire que son rôle n’est que mineur et n’a rien à voir avec la décision et la motivation des acteurs. Selon cette pensée, la monnaie n’est qu’un « voile » survolant et représentant la marchandise (JB Say). Son rôle se limite uniquement à solutionner les inconvénients du troc. Permettant aux vendeurs et aux acheteurs de se rencontrer dans les salles de ventes sans avoir à se trimbaler leurs "containers de marchandises sous le bras". Les portes-monnaie et les catalogues doivent suffire à engendrer la confiance entre vendeurs et acheteurs et les marchandises ne se déplaceront que lorsque les affaires sont conclues. La monnaie est donc, selon les libéraux, exogène, elle n’est que le sous-jacent de la marchandise et si l’on réalisait une éventuelle création de monnaie sans que de la marchandise (ou un service afférent à la marchandise (importation, assurance, etc.)) n’y soit adossée, cela engendrerait possiblement une inflation. Un déséquilibre entre la quantité de monnaie et la quantité de marchandises en circulation à un instant T dans le circuit économique.
Je ne partage pas cette vision libérale de l’inflation (Friedman). L’inflation n’est pas (que) monétaire, elle est aussi provoquée par une demande plus rapide que l’offre ou des pénuries de matières premières.
Le débat semble loin d'être terminé.
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