Réflexions sur la fable de la Dame de Condé
Par Jean-Christophe Duval
La « fable de la dame de condé » est une histoire connue des amateurs de science économique et de la théorie monétaire. Souvent décriée, et sujette à polémiques. J’ai souhaité vous faire part de ma propre réflexion sur cette théorie, pour son éventuelle application dans le cadre d’un Green New Deal mondial. Je me suis permis de modifier le texte original à ma convenance et pour les besoins de la démonstration, mais aussi, de donner le joli prénom de Monica à notre chère Dame de Condé.
Arrivée dans le village de Condé et après un long voyage, Monica descend du train et sort de la gare. Elle a besoin d’une chambre pour passer la nuit, car demain, elle aura beaucoup à faire au village. Ça tombe bien, il y a un hôtel juste face à la gare. Quelques instants après être entrée dans l’hôtel, elle interpelle l’hôtelier qui discutait au bar avec un client.
Monica : Bonjour monsieur, j’ai besoin d’une chambre pour une seule nuit s’il vous plaît.
Hôtelier : Bonjour Madame, bien sûr ! Je n’ai qu’un seul tarif à 100 euros.
Monica : C’est très bien ! Voici, j’en réserve une pour cette nuit.
Monica tend un billet de 100 euros à l’hôtelier qui l’encaisse. Une fois la chambre réservée, Monica décide d’aller visiter le village. Sitôt Monica sortie, l’homme du bar qui était le pâtissier du village interpelle l’hôtelier : « Tu ne me devais pas 100 euros !?! »
L’hôtelier ré-ouvre sa caisse, reprend le billet de Monica et le tend au pâtissier. L’hôtelier vient donc de s’acquitter de la dette de 100 euros qu’il avait vis-à-vis du pâtissier. Ce dernier va de ce pas le donner au plombier du village à qui il devait 100 euros, le pâtissier donne alors le billet de Monica au plombier s’acquittant ainsi de la dette qu’il avait vis-à-vis de ce dernier.
Le plombier se rappelle qu’il devait 100 euros à Gaston le charpentier, il va de ce pas, donner le billet de Monica à son ami Gaston, s’acquittant ainsi de sa dette. Gaston est un homme riche et généreux, 100 euros de plus ou de moins ne feront pas beaucoup d’effets à sa comptabilité, d’autant plus que cette somme n’était pas encore entrée dans la facturation de sa comptabilité, il va de ce pas voir sa femme qui est aussi sa secrétaire comptable pour lui donner cette somme à encaisser pour son entreprise « Gaston charpentes & fils ».
Sur le chemin Gaston rencontre un SDF qu’il connaît bien qui est prénommé Henri. Il faut savoir que Gaston a toujours eut le cœur sur la main et sait bien que ce billet ferait beaucoup plus de bien à Henri le SDF qu’à lui-même, qui a une entreprise déjà bien riche et florissante. Gaston le charpentier généreux donne le billet de 100 euros à Henri le SDF qui, après l’avoir remercié chaleureusement, en profite immédiatement pour aller à l’hôtel dans le but de passer une nuit dans un vrai lit et surtout, prendre un bon bain chaud ! Un privilège qu’il n’a pas connu depuis des lustres ! Se lavant parfois à la sauvette à l’eau froide, le petit matin, à la fontaine du village. Notre ami hôtelier se retrouve à nouveau avec le billet de Monica dans sa caisse.
Après Que Gaston eut « sorti » ce billet de l’économie marchande pour un acte « social et bienveillant », Henri le SDF vient donc de relancer à nouveau ce fameux billet dans l’économie marchande. Ce qui me fait dire cette formule : « Les actes se réalisent, mais la monnaie demeure ! » Gardons cette formule sous le coude, on en reparlera à la fin.
Le billet n’a donc fait que « faire un voyage » de mains en mains et aura permis de rendre un service social à Henri le SDF, sans que ce billet n’ait disparu réellement de l’économie, à moins de destruction ou de bas de laine. Ce billet n’a fait que faire un « détour au black » en rendant un service socialement utile. Évidemment, dans une économie soumise à la TVA cette opération ne saurait relever que d’une logique de « Love Money » et donc, impossible à réaliser dans le cadre d’une économie institutionnalisée par la loi fiscale et soumise à la comptabilité générale.
Suite... Arrivé 19 heures ce jour-là, tous nos amis, le pâtissier, le plombier et le charpentier, qui se connaissent fort bien, se retrouvent comme chaque soir face à une choppe au bar de l’hôtel. Monica arrive et interpelle l’hôtelier. Gênée, elle s’excuse de devoir annuler sa réservation pour des raisons qui lui sont personnelles (Prétexte purement hormonal… Enfin les trucs de la vie quoi !), et demande le remboursement de la somme de 100 euros.
Compréhensif, l’hôtelier lui redonne le billet. En même temps, Monica reconnait son billet, sort de son sac un briquet et brûle immédiatement le billet devant les regards médusés de nos quatre compères ! « Il était faux ! » leur sourit-elle.
Tentons de comprendre ici ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Et tentons aussi de définir quelles seraient les conditions pour que ce qui est impossible devienne possible.
Tous les gens dans cette histoire… Est-ce du travail au noir ? Ou est-ce du travail déclaré ? Est-ce que ces dettes étaient des factures « en attente de règlement » ? Est-ce que tous les acteurs de cette histoire sont à la même banque ? Ou ont-ils chacun une banque différente ? Les banques, dans ce contexte précis, existent-elles ?
On voit ici que rapidement, les limites théoriques de cette histoire sont atteintes par les règles de la gestion comptable (facturation/ attente de règlement) et de la légalité (travail non-déclaré) ainsi que des rouages intrinsèques du système bancaire. Ont-ils l’obligation d’encaisser ces sommes en facturation comptable ? De solder une facture en attente de payement en passif d’un côté, pour solder une facture en attente de payement en actif de l’autre ? Mais ce n’est pas sur l’aspect technique comptable ou l’aspect légal (droit du travail, fiscalité) où nous allons passer plus le de temps ici, mais sur des hypothèses et en raisonnant par l’absurde. Nous allons tenter de créer un « circuit » de la monnaie en faisant abstraction des banques, des règles fiscales et de la comptabilité.
En raisonnant par l’absurde, on fait semblant dans cette fable que toutes les sommes de billets et tous les prix (tarifs et prestations) sont de 100 euros. Cette somme fixe n’est que pour cette histoire, si nous voulions remplacer cette somme fixe par des billets et pièces à sommes diverses (nombre d’unités de compte) et des tarifs de prestations multiples et dans l’objectif final de détruire (brûler) la monnaie, cela entendrait que toute la monnaie en circulation est potentiellement « fausse ». Et que le fait d’utiliser ces « choses » sans valeur intrinsèque ne tient qu’en une sorte de « contrat social », stipulant que ces choses (pièces et billets) sans valeur intrinsèque, disposent de la valeur symbolique de cours et d’usage au sein d’un territoire donné (l’Europe pour l’Euro), conférant à ces morceaux de papiers et ces ronds de nickel frappés et estampillés d’un chiffre (unité de compte monétaire) ainsi que de « la marque du Prince » un « pouvoir libératoire ».
Cette monnaie qui ne dispose pas de valeur intrinsèque (comme des pièces en OR pur, par exemple) est dite « fiat-monnaie » (« Fiat » en latin = Qu’il en soit ainsi). Le fait que les gens croient et donnent de la valeur à ces pièces et billets ne tient en rien d’autre que la croyance, de la culture, et dans le fait que nous acceptions ces « bouts de papiers » et ces « ronds de nickel », tout simplement que tous les autres gens de la société dans lesquelles nous vivons et commerçons les utilisent et les acceptent eux aussi.
Nous avons aussi la théorie de la MMT (Modern Monetary Theory) qui nous apporte sa version ; la « valeur » que les gens confèrent à la monnaie (précisément en la devise) ne tiendrait en rien d’autre du fait que l’état réclame aux gens un impôt dans cette dite devise. Cette pensée je pense, est sujette à méprises ou interprétations. Allez donc dire à votre enfant que la pièce de 1 euro que vous venez de lui donner n’a d’importance « mentale » que pour s’acquitter de l'impôt ; lui qui ne pense qu’à courir chez le marchand de bonbons pour échanger ce rond de « 1 » contre 5 sucettes à « 0,20 » ! La culture et la confiance (équivalence de valeur d’échange) sont une chose, la législation (fiscalité dans la dite devise) en est une autre. Il convient donc de ne pas confondre « valeur » (au sens « capacité d’échange » sur un plan de pure arithmétique) et « loi ».
Mais ce n’est que pour dire que si fondamentalement, toute la monnaie en circulation était considérée comme « fausse » (ou « faussement vraie », ou « vraiment fausse » ou «vraiment vraie» ou «faussement fausse», je ne sais plus…), tout billet de tout montant, quel qu’il soit, pourrait faire office de pouvoir libératoire. 20 fausses pièces de 5 euros, auraient bien plus prendre le rôle du billet de 100 euros, ou 2 billets de 50 ! Ou 5 billets de 20 ! Et même en mettant des montants (tarifs) différents aux dettes du pâtissier, du plombier et de Gaston, toujours en raisonnant par l’absurde, tout devient envisageable, dans l’hypothèse où toute la monnaie en circulation soit potentiellement « faussement vraie » ou « vraiment fausse » et qu’elle n’est rien d’autre qu’une histoire de croyance. Car après tout, la monnaie n’est qu’une « vue de l’esprit » ; une idée devenue une croyance, une croyance devenue une certitude, une culture.
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Peretz (samedi, 30 novembre 2019 08:29)
Sophisme. Désolé. Tu attribues à la monnaie des défauts et qualités qui appartiennent à ceux qui s'en servent.
Jean-Christophe Duval (dimanche, 01 décembre 2019 04:58)
Peretz, Tu as raison, ce n'est pas la monnaie qui "directement" responsable. C'est un vieux débat entre ceux qui disent que la monnaie est "neutre" et ceux qui pensent qu'elle ne l'est pas !
Comprenons que si la monnaie est neutre, c'est le fait qu'elle se mette au service de l'intérêt de celui qui la possède qui fait lui perdre automatiquement sa neutralité. Une monnaie qui serait réellement neutre ne devrait être soumise à l'intérêt de personne et donc des choix de personne.
perchey daniel (lundi, 02 décembre 2019 13:39)
Salut,
Tu deviens didactique, bravo. On en redemande. A te lire.
WANDEBROUCK (lundi, 13 janvier 2020 11:56)
Un texte qui parait relever de la fable et qui dévoile la réalité intrinsèque de la monnaie. Tout est juste ...ou presque.
La seule nuance que j'apporte concerne le rôle de l'autorité qui crée la monnaie et celui de la fiscalité. La MMT dans sa version première a les défauts qui sont indiqués. La version 2.0 corrige ces erreurs et valide totalement ce joli conte en le complétant.
Merci de nous l'avoir remis au goût du jour.