La discipline économique par la dette
Par Jean-Christophe Duval
Notre système monétaire actuel est basé sur l’émission de monnaie sous forme de dette, ce qui oblige les hommes à « la servitude pour dette » ou bien parce qu’ils sont dépossédés de toute « propriété privée des moyens de production ». Dépassé un certain point, cette dette oblige à « produire pour produire » là où tout (beaucoup de choses) a déjà été fait ! À « faire pour faire » là où rien de vraiment utile n’est à faire ! Sous le joug de la dette, c’est une obligation de réussite économique qui ordonne nos existences. Au nom de cette dette, peu importe ce que nous faisons, sa pertinence, son utilité réelle, son potentiel de nuisances diverses, externalités négatives, nous devons réussir au détriment de tout et de tous. Le plus dramatique, c'est que les choses qui devraient réellement être faites (social, écologie, humanitaire) ne le sont pas, faute de rentabilité.
La rentabilité est dictée par la dette, elle lui est conditionnelle. Une dette ne sera remboursée que par la rentabilité de l’acteur endetté. Tous les domaines dénués d’actifs tangibles, de rentabilité, de retour sur investissement sont délaissés par la finance, quelles que puisse être leurs importances écologique et sociale. C’est là où se trouve l’incomplétude de notre système ; il n’attache de l’importance qu’au rendement économique supposant illusoirement que la croissance finira par absorber tout le reste, et réglera naturellement les problèmes qu’elle aura préalablement engendrés, ce qui est illusoire.
L’émission de monnaie doit être remboursée, ce qui oblige un premier acteur « A » à une activité marchande, fabriquer des produits qu’il vendra à des clients que l’on va appeler « B », l’argent étant créé de manière endogène, il faudra que « B » s’endette à son tour pour acheter les produits de « A ». Grace à ce chiffre d’affaires de la part de « B », « A » sera parvenu à se libérer de sa dette, et à rendre son entreprise pérenne, il sera peut-être moins tributaire de sa banque que de ses clients. « B » en revanche prendra la place de « A » et devra à son tour trouver un moyen de solder sa dette à la banque en commerçant des choses à « C ». Puis « C » à « D », puis « D » à « E », etc.
Tout ce petit monde ne saurait obtenir cette précieuse monnaie (qui permettra de rembourser l'endetté précédent) sans promettre à la banque émettrice la promesse de solder cette dette.
Ce n’est pas uniquement le travail des hommes qui permettra de rembourser la banque. Sur nos établis et nos chaînes de montages, il n’y a pas du « rien » ! D'ailleur, vos établis et vos chaînes de montage ne sont pas conçus de « rien » ! Le dilemme majeur est que c’est la nature qui est le payeur en premier ressort de notre croissance économique. Toutes les choses produites par nos ateliers et nos usines ne sont que des ressources naturelles transformées en marchandises, qui seront transformées en chiffre d’affaires. La croissance ne tient en rien d’autre que ceci : Nous ne faisons que transformer du « gratuit » en du « à vendre » ! Toutes les choses qui nous entourent sont des ressources qui nous ont été fournies gratuitement par la nature et que nous avons transformé en choses reconnues tangibles par la comptabilité humaine.
Toutes les choses absurdes que nous nous forçons à produire, à « produire pour produire », à « produire pour réussir », ne sont là que pour réussir tout en remboursant les dettes des acteurs precedents jusqu'à ce que l'acteur suivant ne s'endette à son tour pour vous acheter vos produits qui vous permettront à votre tour de vous désendetter. Le désendettement de l'un (du vendeur) engendre l'endettement de l'autre (de l'acheteur) sauf si son entreprise est pérenne et n'a pas besoin d'emprunter.
C’est en cela qu’intellectuellement, nous prenons un dilemme "anthropo-matérialiste" dans un mauvais sens. Là où anthropologiquement nous devions produire « utile » pour de réelles raisons, notre société moderne a gravé ce paradigme comme un code existentiel, moral, méritocratique. Au point où dorénavant, les hommes ne produisent pas du pertinent pour être utiles mais de l'impertinent pour être reconnus socialement et d'être parvenu à solder une dette actant du même coup sa réussite sociale. Se supposant moraux, ils surproduisent en quantité cet impertinent pour se décréter utiles aux regards de leur monde. Un monde qui a érigé le travail telle un dogme culturel, moral, normal, et le mérite sur la comptabilisation de ce que nous produisons et vendons. Un endroit où la seule utilité et les seuls mérites reconnus ne peuvent être que des choses qui se comptent.
Ceux qui ont lu mes livres connaissent ceci : Nous détruisons (économie extractive et dégénérative) notre monde pour :
- Manger (servitude « alimentaire » et nécessités physiologiques)
- Séduire (servitude culturelle, consumérisme ostentatoire, désir de reconnaissance appartenance, intégration, distinction, etc.)
- Rembourser à des banques le tarif de nos réussites sociale.
Je pars du principe qu’une grande partie des choses que nous produisons ne dispose d’aucune utilité réelle, ni d’aucune raison d’être fondamentale. Un bon nombre des domaines réellement utiles sont déjà solidement occupés par des corporations capitalistes. La main invisible a fini par s’user par trop d’égoïsme et trop de naïveté « smitienne ». Il y a des propriétaires qui occupent toutes choses utiles par des contrats de propriété et qui se demandent pourquoi ceux qui ne sont propriétaires de rien ne parviennent pas à acheter leurs productions. Il ne reste alors que la « créativité » à ces derniers (prolétaires) pour tenter une réussite là où toutes les utilités réelles sont occupée égoïstement par les acteurs précédents.
Mais si parfois nous inventons des choses vraiment utiles, la « destruction créatrice » a ses limites, nous pouvons les observer là où les hommes s’obligent à produire de la « pseudo-utilité » pour se donner une chance de réussir socio-économiquement.
« L’utilitarisme marchand irrationnel » et son lot « d’activités d’utilité artificielle » et de « bullshit causes » sont là pour vous en faire la démonstration. Nous ne faisons que d’entretenir des problèmes, voire en créer de nouveaux, dans l’unique but de faire perdurer le commerce des solutions.
La dette est à double tranchant. Elle peut-être utile et pertinente pour financer de manière endogène et à rebours des activités en devenir. Mais si elle n’est que cette unique méthode, alors la seule raison économique des hommes sera la servitude dans des productions de choses inutiles, absurdes, polluantes, dans l’unique but de rembourser une dette à des banques.
La dette est une des raisons pour laquelle nous assassinons notre monde.
Écrire commentaire