La découverte du prix, et la négation du coût
Par Jean-Christophe Duval
Je postule que la finance est incomplète, dans la mesure où elle n’est motorisée par des motivations particulières et est donc incapable de définir le prix de choses plus grandes et plus haute que des besoins de particuliers. La finance n’est rien d’autre que la « sommation d’une multitude d’intérêts particuliers ». Des épargnants, des boursicoteurs, des spéculateurs ne savent que miser leurs précieux patrimoines financiers que dans des domaines rentables, juteux et à plus cour terme possible. Ce qui peut se comprendre ; envisageriez-vous de miser votre bien « à fonds perdus » dans des projets de très très longs termes et qui relèvent du bien commun ? Des projets « qui coûtent, mais ne rapportent pas » ? Pour contourner ce problème, nous avons la logique dite « régalienne » ; à l’instar du financement de la police, la justice et de l’armée qui relèvent de besoins sociétaux, ces domaines sont financés par l’argent de l’impôt (ou par le gonflement de la dette publique qui sera plus tard à rembourser par l'impôt). Dans un premier temps, nous pourrions financer la transition écologique par le chemin de la fiscalité, mais cette méthode hormis le fait qu’elle serait chronophage, engendrerait des problèmes que trop peu de gens soulèvent. Ce problème est ce que j’appelle « le mythe de Sisyphe de la dette » vers lequel nous reviendrons plus tard.
Pour comprendre pourquoi il est si compliqué de trouver des financements nécessaires à la transition écologique, il convient d’aller renifler dans les théories néolibérales et plus particulièrement la doctrine de l’école autrichienne : La « découverte du prix » (La théorie de l’utilité marginale). Selon les classiques tels que Adam Smith ou David Ricardo, le prix de vente d’un objet est relatif aux moyens engagés dans sa production ; matières premières, mains d’œuvre, moyens de productions, capital, etc. Plus tard, Karl Marx évalue le profit et donc, la motivation pour un entrepreneur, de réaliser quelque chose selon sa célèbre formule « A+M=A’ ». où « A » est le capital, « M » est la marchandise (ressources naturelles) et où « A’ » est capital+plus-value. Ça, c’est le point de vue du vendeur !
Ensuite arrivent les acheteurs. C’est à cet endroit que l’on voit apparaître l’école des « marginalistes » (Léon Walras, Stanley Jevon, et Carl Menger) qui furent les ancêtres de ce qui deviendra vers 1940 « l’école autrichienne » où l’on retrouve des Ludwig Von Mises, des Karl Popper et autres Friedrich Von Hayek. Ici, on se place du point de vue de l’intérêt de l’acheteur, et je vais vous citer une comptine connue pour vous faire comprendre de quoi il s’agit ici :
Vous êtes dans le désert, vous mourrez de soif, vous n’avez plus d’eau et vous avez encore 30 km pour atteindre la prochaine ville. Soudain, un génie apparaît et il vous propose un verre d’eau pour la « modique somme » de 1000 euros ! Ce verre d’eau vous permettrait de survivre et de parcourir les 30 derniers km. Vous acceptez, certes rageusement, de dépenser 1000 Euros pour ce « précieux » verre d’eau garant de votre salvation. Maintenant posez-vous cette question : seriez vous prêt à dépenser encore 1000 euros pour un deuxième verre d’eau ? De toutes évidences, non ! Tout simplement, parce que vous n’en avez plus besoin. Ce seul et unique verre d’eau vous permettra de parcourir sans trop de problèmes les 30 derniers km.
Le prix d’une chose est donc un savant mélange entre son prix de production (le souci de ne pas vendre à perte) de faire de la marge commerciale et le fait que ce que vous vendez puisse réellement intéresser une clientèle potentielle. C’est ce point de vue client que l’on appelle « l’utilité marginale » de où découle la « découverte (l’acceptation) du prix ». Ici, il est supposé qu’une chose n’a de valeur qu’en fonction du besoin qu’on en a, et pas nécessairement en fonction de ce que le vendeur en demande.
Deuxième scénario, vous vivez aux états-unis, dans une ville où règne une grande insécurité. Vous vous sentez obligé de vous procurer armes, gilets pare balles, portes et fenêtres blindées, et de solides contrats d’assurances. Vous accepterez donc de vous procurer toutes ces choses, la « découverte du prix » sera ici pertinente. En serait-il de même dans un village paisible où les gens sont courtois, éduqués, coopératifs et bienveillants ? Pourquoi devriez-vous autant vous inquiéter de la délinquance et de vous en protéger à un tel niveau de prix, là où on en entend rarement parler ? « Cool City » sera un endroit où vous les prix engagés pour la sécurité ne seront certainement pas les mêmes que dans la folle ville de « Frustrations&violence City ». Imaginez-vous maintenant au Paradis, aucun problème n’existe tous les gens (morts) vivant ici-bas sont tels de gentils Bisounours « béats, souriants zé heureux » il semble impossible que quoi que ce soit de mal puisse arriver ! Si un assureur ambitieux venait frapper à votre porte pour vous vendre une solution dont vous n’avez pas besoin, vous le renverriez dans son enfer de « Frustration&violence City », là où trouvera son bonheur « commercial » à vendre des contrats d’assurances hors de prix à des gens qui trouveront ces contrats utiles et indispensables. Nous voyons donc la « négation du coût » par rapport à la « découverte du prix ». Simplement, ces choses ne vous intéressent pas.
C'est en partie dans cette logique d'acceptation du prix que les lobbies mettent de la nicotine dans le tabac ; pour faire perdurer le besoin (addiction) et ainsi, faire perdurer les ventes de cigarettes. Idem pour la guerre et les armes, idem pour les maladies et les remèdes, idem pour l'obsolescence programmée et le renouvellement des ventes. Comme je dis toujours, nous ne faisons qu'entretenir des problèmes pour faire perdurer le commerce des solutions (le besoin et ainsi, l'acceptation du prix).
Pour le réchauffement climatique, nous avons l'effet inverse (la négation du coût). Les rouages financiers se situant au niveau bancaires, nous avons affaire à des gens qui se supposent au « paradis », sans comprendre que l’enfer arrive au loin (pas si loin). À ce titre, ils rétorqueront que tant que l’Enfer ne sera pas réellement visible au bout de leur « longue vue » alors, le danger ne sera pas perceptible (mesurable) et il est hors de question de donner de la valeur (découverte du prix) à des choses qui ne concernent pas l’intérêt immédiat (l’utilité). Les gens ne sont capables de donner un prix (une valeur) qu’à des solutions qu’ils jugeront utiles que lorsque leurs « désirs et affects » seront directement et urgemment concernés par les problèmes ! Autrement, il y aura toujours la « négation du coût ».
Le bien commun c'est que ce tout le monde bousille parce que cela rapporte et que personne ne répare par ce que cela coûte. On comprend aisément que bien rares sont les particuliers qui seraient capables de dépenser des fortunes pour des domaines qui concernent tout le monde en général et personne en particulier. L'homo œconomicus ne fonctionne pas comme cela. Il n'y a que peu d'individus capables de donner à fonds perdus pour des causes supposément "hypothétiques" comme la transition écologique si le voisin et le voisin du voisin, et l'autre après lui ne le fait pas (quoique les temps et les mentalités changent, heureusement).
L'homo œconomicus n'aime pas être le (seul) dindon de la farce, il préférera souvent entrer dans une compétition de consommation ostentatoire contre ses voisins, que de passer pour un "loser" auprès d'eux en faisant des choses qui ne relèvent pas d'une routine matérialiste et individualiste. Et à fortiori, dans une société économique où l'argent (le revenu) coûte cher à gagner. Si vous en doutez encore, vous n'avez qu'à compter le nombre de navires de dépollution des océans en comparaison du nombre de comptes off shore dans les paradis fiscaux, vous aurez votre réponse.
L'économie relève beaucoup de la psycho-sociologie, de l'orgueil, de la séduction, l'appartenance sociale, le désir narcissique de gratification. Emission de signifiants de puissance et autres signes extérieurs de richesse, il serait temps de comprendre que ce qui motorise les hommes, c'est souvent leurs propres nombrils. L'agonie de notre monde s'accompagne ainsi de la vénération persistante de ce qui le tue.
C’est très précisément ce qui se passe avec des gens tels que Donald Trump qui nous martèlent que "la transition écologique est une stratégie des Chinois pour nuire à l’économie américaine!", la négation du coût. Même discours pour les climato-sceptiques ! Nous avons affaire à des gens qui ne verront pas l’utilité de donner un prix (une valeur) à une chose, tant que cette chose ne leur sera pas visible à l’œil nu sensibilisant immédiatement et urgemment leurs désirs et affects. Le problème étant que le jour où ce sera le cas, cela voudra aussi dire qu’il est trop tard.
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