Par Jean-Christophe Duval
Il règne actuellement une incomprehension teintée de dogmatisme face aux prochains enjeux de la transition écologique. Beaucoup apportent leurs solutions miracles liés de près ou de loin à une politique entrepreneuriale, capitaliste ou à l'extreme opposé, collectiviste. Je poste ici dans le but d'éclaircir mon propos sur une création monétaire ex nihilo à dessein de la transition écologique. Dites-moi après lecture si cette solution demeure dans le même apanage que l'arnaque du capitalisme vert. Personnellement, je ne pense pas. Je compte sur vos avis.
Le constat
Premièrement, je pars du constat que notre système à monnaie dette contraint les hommes à creuser des trous de plus en plus profonds dans la nature (extraction de ressources naturelles) pour combler des trous de plus en plus grands dans nos comptabilités (monnaie dette et dilemme de l’origine du profit). C’est ce que j’appelle le « mythe de Sisyphe de la dette ». Une absurdité qui n'en finira jamais. On voit ici que le paradigme mathématique de ce système est absolument parasitaire et ne peut durer éternellement sans se confronter aux limites des ressources naturelles disponibles. Dans nos empressements, nous prélevons trop rapidement et trop violemment que ce que la nature ne saura se régénérer à sa propre vitesse. Ce capitalisme nous fait passer outre une loi symbiotique pourtant évidente : le respect d'un équilibre entre l'extraction et la régénérescence.
Nous ne sommes que les victimes d'un modèle qui n'a jamais pris le temps de tenir compte des externalités négatives de ses dynamiques spéculatives. Depuis toujours, nous pillons parce que cela rapporte, nous ne réparons pas parce que cela coûte. Anthropologiquement, c'est ce qui nous a permit de survivre tout en édifiant les bases "méritocratiques" de notre modèle socio culturel ; celui qui travaille, qui est créatif et entreprenant, aura plus de chance de survivre que les autres. Comprenons que l'idée de croissance réduite à sa plus simple expression, ne se réduit qu'en ceci : Nous transformons des zéros en valeur positives ! Nous prenons des choses que la nature nous fournit de façon gratuite (qui coûte zéro) en des choses à vendre dans la comptabilité humaine (de la croissance). Nous constatons donc que la croissance ne peut provenir de nulle part ailleurs que du pillage des ressources naturelles.
Par conséquent nous voyons que les domaines sociaux et écologiques ne sont pas rentables car souvent dénués d’actifs tangibles; ils n’intéressent évidemment pas la finance. Ce sont des domaines « qui coûtent mais ne rapportent pas ». Notre finance essentiellement rentière et court-termiste est parfaitement incapable de la prise en compte de ces projets. Nous devons alors inventer une autre méthode. Nous devons inventer une finance de bien commun qui se placerait au dessus et en amont des logiques financières traditionnelles.
Tenter de sauver notre monde avec les méthodes monétaires actuelles engendre un « mythe de Sisyphe économique ». Sachant qu’une dette ne se rembourse qu’avec de l’extraction (production d’actifs tangibles), ce serait comme créer une dette pour sauver le monde, puis devoir tuer le monde pour rembourser cette dette.
Ma proposition
Je considère que la psychologie humaine est un des plus grands moteurs de l'économie. Je préconise alors que nous devons laisser la part belle à des entrepreneurs d'un nouveau genre tout en remettant en question les dogmes monétaires et bancaires.
La solution que je propose est de créer un organisme (possiblement national, européen, ou international) qui aurait la prérogative de créer le chiffre d’affaires d’entreprises dont l’objet ne serait pas l’extraction (nuisance et externalités négatives) mais au contraire, des projets de régénérescence environnementale, humanitaires et sociale. Je nomme cette méthode « C.A pour B.A » (Chiffre d’affaires pour bonnes actions). Ce serait comme créer du chiffre d’affaire à un endroit où la marchandise n’existe pas, mais la bienveillance, la régénérescence. Nous devons donc intellectuellement nous déconnecter de l'idée que la création de monnaie doit forcément être liée à la production d'actifs tangibles (de marchandises). Nous devons créer de la monnaie pour financer directement les budgets de la transition.
Ce serait une création ex nihilo de monnaie « non-dette » qui aurait pour effet de combler 2 trous : Premièrement, les trous de la nature (réparation des pollutions, dégradations, érosions, préservation du bien commun) et ensuite de rendre plus soutenable les dettes privées et souveraines par la création de nouveau marchés non-extractifs. Nous créons ici un domaine où les projets dénués d’actifs tangibles deviennent soudainement des actifs tangibles. Nous créons ici un "capitalisme paradoxal". Un capitalisme qui répare au lieu de détruire. Toute l'alchimie de cette solution repose sur le "sens" de l'aiguillage monétaire. Mais finalement, dois-on encore appeler cela du capitalisme ? La finalité sera aussi de défaire les hommes d'une servitude destructrice (utilitarisme marchand irrationnel, aliénation), de leur redonner leur temps, ou encore d'orienter ce temps à des causes réellement utiles socialement et écologiquement.
L'économiste Michal Kalecki nous a fait une brillante démonstration sur l'origine du profit entre les commerces de plusieurs nations. Je déduis de ces travaux qu'une balance commerciale qui peut-être excédentaire ou déficitaire semble vouloir faire "l'apologie du plus-nuisant". En effet, c'est celui qui se sera montré le plus violent dans la production extractive de ses produits qui remportera la lutte commerciale. Ce système dans toute sa construction intellectuelle semble toujours vouloir nous ordonner de produire plus et fort que les autres au détriment de dame nature. Dans cette balance commerciale, le profit (excédents commerciaux) des uns vient donc nécessairement des déficits des autres (dettes). Le profit provient donc de batailles commerciales, remportées les uns sur les autres, chacun se servant au mieux des ressources naturelles qu'il a à sa disposition pour engendrer commerces et plus-values au détriment de ses concurrents. Comprenons que dans cette grande bagarre des "mains invisibles", c'est la planète qui se prend le plus de coups.
Nous pouvons conclure que dans notre système économique, la monnaie qui est disponible sera parfois de la monnaie-dette (création de monnaie ex nihilo) et parfois des profits "solidifiés" (épargne) provenant de commerces précédents.
Nous avons donc pris l'habitude de ne considérer que l'épargne ne saurait provenir d'ailleurs que de commerces précédents. Mais si nous créions ex nihilo du profits sans passer par la "case production" ? Si nous créions le chiffre d'affaires d'entreprises dont l'objet n'est pas la production de marchandises (économie extractive), mais au contraire la régénérescence ? Dans un endroit où le profit provient nécessairement de la marchandisation des ressources naturelles, ici plus question de tout cela ; nous réparons sans piller, sans produire et gagnons nos vies à cela.
Nous créons directement le profit (pérennité économique) sans créer de dettes (discipline économique poussant à la destruction) ce qui augmente forcément une masse monétaire sans que cette dernière ne soit adossée à des productions de marchandises. Si les monétaristes pensent que ces pratiques peuvent engendrer une hyperinflation, répondons leur que nous pouvons contenir cette inflation par le contrôle des réserves obligatoires et des taux directeurs (politique monétaire).
Par ce « ruissellement keynésien » l’idée est d’engendrer une nouvelle sorte d’économie qui ne tirerait pas sa raison depuis le prélèvement de ressources naturelles, mais bien au contraire, une monnaie radicalement déconnectée de l’idée de la production de marchandises mais conçue pour la bienveillance et la réparation. Outre le fait de financer la transition écologique et sociale sans attendre après la fiscalité (ce qui obligerait à l’extraction (croissance) d’un côté pour se donner les moyens (impôts) de réparer les dégâts de l’extraction d’un autre côté), l’objet de cette méthode étant de générer justice, équilibre et durabilité entre l’extraction utile pour les hommes et la régénérescence indispensable de la nature par ces derniers.
L’idée maîtresse étant que si nous prenons (gratuitement) à la nature alors nous devons réparer (gratuitement) cette dernière. Ce que j’entends par « gratuitement » est que cette injection de monnaie se ferait ex nihilo, sans qu’il n’en coûte à qui que ce soit (épargne) et ne soit à rembourser par qui que ce soit (dettes), de la même façon que la nature ne nous facture pas ses produits. Une création monétaire endogène à dessein de la transition écologique, énergétique et sociale, qui voyagerait du monde non-marchand vers le monde marchand.
Par une sorte de « circuit monétaire », cet organisme dédié à la préservation et la régénérescence du bien commun, fournirait le CA aux entreprises sous forme de « DTS(e) » (Droit de Tirage Spéciaux écologique), qui serait un ordre pour leurs banques de créditer leurs comptes des dites sommes qui serait le CA de ces entreprises (de la plus-value déconnectée de l'extraction). Nous voyons que cela relève plus de la convenance politique que de la comptabilité pure, puisqu’ici, il n’est pas question d’adosser quoi que ce soit de tangible (production de marchandises) à ce chiffre d’affaires. Mais ce ne serait que justice… La nature nous facture -t-elle ses choses ? Non.
L’équivalent de ces sommes servirait de base monétaire en monnaie centrale cette foi, à destination de projets marchands. La monnaie ainsi créée suivrait un « circuit » qui prendrait son départ depuis des projets non-marchands, lui permettant de réaliser deux rôles :
- Domaines non-marchands effectués en priorité par création de monnaie centrale non-dette
- Ces DTS(e), une fois qu’'ils auraient atteint les banques commerciales serviraient de base monétaire (et éventuellement de réserves obligatoires) pour l'économie cette foi, marchande.
Pour le contrôle de l’inflation, les Banques centrales conserveraient leurs outils de politique monétaire connus, tels que le contrôle des réserves obligatoires et le contrôle des taux directeurs. Les Banques centrales pourraient "jouer" avec ces curseurs de sorte à limiter l'émission de monnaie dette en vue d'éviter une inflation. De cette manière, nous favorisons particulièrement une économie de régénérescence et éradiquerions peu à peu notre économie de prédation.
Par exemple, le taux de réserves obligatoire augmenterait en fonction de la taille de la base monétaire. Ce qui limiterait progressivement l’émission de "monnaie dette" en circulation, possiblement jusqu’à arriver à une situation proche de la théorie du « 100 % » monnaie à la Fischer. Peu à peu, en jouant avec les taux de réserves obligatoires en fonction de la base monétaire (quantité de monnaie centrale (éventuellement fiduciaire ou scripturale)), nous finirions par arriver à un point où les banques ne prêteraient plus que de la « base monétaire » aux marchés, sans plus aucune création ex nihilo (donc, 100% Monnaie de Fischer). Constatons que cette épargne servant de réserves obligatoires ne prendrait plus pour origine l'extraction, mais la réparation.
De plus, transition écologique oblige, nous limiterions forcément les « bullshit jobs » et les activités bidons (utilitarisme marchand irrationnel) pour mettre en place un revenu de base à la place des professions « bullshit » qui auraient disparues. En outre, une création de métiers "reals" auraient cependant fait leur apparition dans des domaines sociaux, humanitaires et écologiques, façon EDR (état employeur en dernier ressort).
Nous pourrions aussi imaginer des taux directeurs « à la carte » en fonction de la vertu écologique et sociale des projets à financer. Bien sûr, pour éviter tous effets spéculatifs sur cette mesure, ces intérêts ne demeureraient pas dans l'escarcelle de la spéculation, mais seraient à 100 % imposables, réduisant à néant toute motivation spéculative à « détruire pour s’enrichir ».
Cette monnaie « permanente » sous forme de monnaie centrale, ne serait plus à envisager comme une dette (encore moins spéculative) mais comme le moyen que les hommes, penseurs et créatifs, se sont donnés pour sauver leur monde. Ce serait donc une monnaie permanente, dont nous stopperions l’émissions dès que la transition écologique serait faite. Dès lors, le rôle de la science économique ne se cantonnerait plus qu'au maintient de mesure d'équilibre entre l'extraction utile et la réparation indispensable, en d'autres termes, la durabilité.
Bien que nous pourrions réaliser cette idée au niveau national (souveraineté monétaire et frexit) ou européen (révolution des traités), ce projet serait de préférence réalisé de façon la plus mondiale qui soit, de façon à contourner le plus possible le « dilemme de Trifin ».
Voici donc la présentation du modèle économique et monétaire que je propose. Il convient de comprendre qu'il est loin du capitalisme vert que nous nous est régulièrement servi par les médias. Le modèle que je propose est radicalement déconnecté de l'idée que la création monétaire soit nécessairement liée à la production de marchandises (économie extractive) mais au contraire, de la monnaie que nous créerions à dessein de projets régénératifs.
Dois on appeler cela du capitalisme vert ? Ou du vert décapitalisé ? Question purement sémantique. Peu importe après tout, ce que nous devons faire, c'est inventer une nouvelle dynamique économique. Il faut un équilibre.
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Guy Dablin (lundi, 27 janvier 2020 20:25)
Très bonnes idées. Je crois qu'avant toute chose il faut abolir l'escroquerie des banques commerciales et révoquer leur droit de faire des prêts à partir de rien. Le contrôle de l'économie par la finance doit cesser.