Bénédiction et malédiction, l'ambivalence de la monnaie dette.
Par Jean-Christophe Duval
En tant que keynésien, je considère la monnaie comme une "énergie économique" ; un moyen de faire des choses qui dépassent le cadre du "déjà existant" (troc du concret) et permet d'envisager la production de choses qui n'existent pas encore. Cependant, ce pouvoir est à double tranchant, si une dette (se surcroît usurière) oblige à la production d'actifs tangibles, nous devons bien reconnaître que ce genre de finance élimine automatiquement les projets dénués d'actifs tangibles. Un système à monnaie dette est parfaitement incapable de la prise en charge de projets "qui coûtent et ne rapportent pas".
Si un système à monnaie dette peut être efficace dans le cadre d'une économie marchande, il faut reconnaître qu'il existe aussi une économie non-marchande à assumer (tout ce qui est monétaire n'est pas forcément marchand). Je postule que notre système monétaire est incomplet et qu'il convient de le completer par d'autres outils financiers. Des outils qui dépassent le cadre de l'intérêt particulier et rentier.
Nous savons maintenant que la monnaie dispose de la faculté de réaliser des projet futur sans pour autant que la rentabilité de ce projet ne soit immédiate. C'est le caractère endogène de la monnaie qui permet ce "miracle". Nous pouvons voir qu'une monnaie diffusée "à rebours" de la rentabilité constitue un moyen endogène de réaliser un futur, une vision.
La vision de la monnaie exogène (pensée libérale), quant à elle, ne permet que de comptabiliser le "déjà existant". Ainsi, le futur est une énigme irréalisable, car les hommes ne sont pas supposés se donner le moyen de le faire autrement que par l'investissement de richesses préalablement accumulées par du "déjà existant" (l'épargne). Ce qui ne laisse que peu de chances dans la réalisation de projets dénués de retours sur investissements (d'actifs tangibles). Ici, nous pouvons d'ores et déjà, oublier le bien commun, les services publics, la bienveillance, l'entraide et la sécurité sociale.
L'égoïste ne consacrera son capital à des choses qui intéresseront directement son "bonheur", ses avantages et son confort, et il pensera illusoirement (ou hypocritement) que les bienfaits de la main invisible feront le reste. Posez-vous une simple question: consacreriez-vous votre or dans des projets à "fonds perdus" tels que le social, la préservation du bien commun, l'entraide et la coopération ? La réponse me semble évidente : pour réaliser des projets qui dépassent l'intérêt particulier, nous avons besoin d'une finance qui dépasse cet intérêt particulier. Un épargne basée sur la propriété, l'intérêt, la rente, la spéculation est parfaitement incapable de faire des choses qui dépasse l'homo œconomicus et son nombril.
Nous avons donc besoin de créer les moyens de faire des choses plus grande et plus "common" que l'intérêt. Une des caractéristiques endogène de la monnaie est qu'elle peut faire ce miracle tout en engendrant par ailleurs des calamités. La monnaie étant une dette, cette dette oblige l'emprunteur à promettre au prêteur de la rentabilité prochaine. Nous nous obligeons donc à faire des trous (économie extractive) dans la nature pour combler des trous (monnaie dette) dans la comptabilité humaine.
Vous pourriez me rétorquer que la fiscalité pourrait parfaitement jouer ce rôle, mais n'oublions pas que l'impôt est une taxe sur la production (et donc la dégradation dans l'état actuel de notre modèle économique). Cela signifie que nous motiverions des gens à la dégradation de sorte à les taxer pour trouver les moyens de réparer ces dégradations. Ce qu'il faut, c'est trouver des moyens sans que ces moyens ne proviennent de l'extraction. Cela part nécessairement d'une façon radicalement ex nihilo d'envisager la création monétaire, plus précisément, cette création de monnaie ne doit plus être la contrepartie d'une dette exigeant rentabilité. Nous devons inventer une monnaie capable de financer des projets où la rentabilité est inexistante ou n'aura lieu que sur le très très long terme, au delà de plusieurs générations.
Par ailleurs, selon la courbe de Philips, il existe un lien entre le chômage et l'inflation et qu'il conviendrait de garder une partie de personne au chômage de sorte à contenir le niveau des prix. Il est supposé ici que le chômage permet de contenir une inflation par la demande. On peut se questionner sur l'absurdité de cette pensée ; Comment peut-on espérer une recherche de croissance d'un côté tout en interdisant cette croissance de l'autre ? Contrairement à la pensée libérale de l'offre, la monnaie est un moyen d'engendrer une demande nouvelle.
Nous pourrions aussi aborder le fait que la monnaie est un instrument de domination sociale. De surcroît si cette dernière est dorénavant sous contrôle d'une caste (oligarchie capitaliste). Au nom de la "liberté" et de l'aléas moral, ils ont confisqué au pouvoir régalien le droit de battre monnaie. Ce faisant, ils ont réalisé eux-même ce qu'ils craignaient que d'autres (les politiques collectivistes) puissent faire. Avec ce système dit "ordo-libéral", seul ne semble compter que les affaires tangibles et rentables. Les domaines dénués d'actifs tangibles comme la transition écologique, sociale, humanitaire sont délaissés, décriés, ou s'ils sont reconnus, ils doivent coûter le moins cher possible en impôts. Cette façon d'aborder la logique monétaire n'a fait que de mettre en place une servitude pour dette ou par nécessité physiologique. Pour gagner notre droit de survivre, dans un monde déterminé par la propriété privée des moyens de production, nous sommes contraints à la destruction de notre nature pour satisfaire des critères de rentabilité. Faire couler de la sueur de nos fronts ne suffit pas ! Encore faut-il que ce nous faisons soit rentable. Et dans cette méritocratie de comptables, de gérants, seuls les plus productifs et les plus fervents gagneront dans cette lutte des places. Ici, dans la recherche permanente de rentabilité et de réduction des coûts, l'humain n'est perçu que comme une variable d'ajustement, une marchandise comme une autre. Chaque promotion, chaque robotisation, chaque délocalisation ne conservera que de rares élus qui ne feront que régner sur une pyramide de cadavres sociaux toujours un peu plus haute. Posons nous ici une simple question : dans une société où les hommes sont privés d'emplois, et donc de pouvoir d'achat, à qui les capitalistes vont-ils bien pouvoir vendre les marchandises que leurs robots ont produits ? "Au marché extérieurs !" Rétorqueront t-ils... Mais ce que nous vivons ici, à l'étranger la situation est la même ! Nous devons donc inventer une autre formule monétaire. De plus, cette situation engendre une "gloire au plus nuisant"; les déficit ou excédents de la balance extérieure n'envisagent que le critère économique mais par ailleurs, ne font que témoigner que la nuisance environnementale des gagnants par rapport aux perdant. Produire en nuisant rapporte plus que de ne nuire en rien en ne produisant pas.
La vision libérale de la monnaie exogène dispose ainsi de ses propres ambivalences ; elle ne compte que le tangible, le déjà existant, ne laissant aucune chance à un futur "à rebours" de se produire. La vision de la monnaie endogène peut cependant résoudre ce problème mais engendre une situation où cette monnaie ne saurait trouver raison que dans la recherche d'actifs nécessairement tangibles, car seuls les ces derniers peuvent assurer le recouvrement de la dette. Mais ces actifs ne proviennent pas de nulle part ; ce sont des ressources naturelles transformées en marchandises puis en chiffre d'affaires. Seule cette trame est en mesure de rembourser une dette. C'est ainsi qu'une monnaie diffusée sous forme de dette est en même temps une bénédiction et une calamité, car elle est capable de financer des choses dont la rentabilité est "à rebours" mais est parfaitement incapable de financer des choses dépourvues de rentabilité.
Or, c'est de cela dont le monde à besoin dorénavant. Nous devons arrêter de faire des trous (extraction) dans la nature pour combler les trous (dettes) de nos comptabilités. Nous devons inventer un système où une monnaie, qui ne proviendrait pas de l'extraction (exogène) ni la motiverait (endogène), servirait à la réparation de la nature, à sa régénérescence tout en relançant une nouvelle sorte de société, une nouvelle sorte d'économie.
Alors, si une monnaie diffusée sous la contrainte d'une dette oblige à la production future d'actifs tangibles, est-ce qu'une monnaie "non-dette" ne permettrait pas de faire le contraire ? Par exemple, de réaliser des choses, des projets dénués de retour sur investissement, de rentabilité, d'actifs tangibles ?
Notre dilemme est que nous devons arrêter de faire des trous dans la nature (extraction) tout en comblant les trous de nos comptabilités (dettes). Créons alors une monnaie non-dette à dessein de la transition écologique, une monnaie qui comblera les trous de la nature (régénérescence) tout en comblant par ruissellement les trous de nos dettes. Nous devons inventer un système monétaire où la monnaie (non-dette) serait le moyen endogène de faire des choses, de réaliser des projets écologiques et sociaux. Le dilemme est assez simple lorsque l'on prend le temps de le déconstruire intellectuellement : si une monnaie dette oblige à la production d'actifs tangibles, une monnaie non-dette serait comme le chiffre d'affaires d'entreprises dont l'objet est dépourvu d'actifs tangibles, de projets qui ne sont pas liés à la production de marchandises. Nous créons donc ici une monnaie "non-dette" pour combler nos dettes tout en réparant les trous que la dette nous a précédemment obligé de faire dans la nature. Nous devons inventer une monnaie dont la raison est radicalement déconnectée de la production de marchandises, mais au contraire, à dessein de la régénérescence environnementale, sociale et humaine.
Cependant, il convient de ne pas tomber dans un nouveau piège. Cette nouvelle manne de chiffre d'affaires ne doit pas être vue comme la possibilité d'engendrer de nouveaux consommateurs de produits polluants, ce qui rendrait caduque et absurde l'idée même de ce projet. Nous devons inventer une société à économie plus sobre en termes d'usure environnementale. Nous devrons rapidement inventer des loisirs, des plaisirs, des jeux en parfaite accordance avec une idée de durabilité écologique. Fini la jet set, les yachts, les 40 voyages en avions par an et une bague en or à chaque doigt ; le luxe et la consommation ostentatoire devront changer de peaux vers des domaines plus sobres et moins énergivores.
De plus, l'idée n'est pas de combler toutes les dettes, puisque si toutes les dettes étaient comblées, il n'y aurait plus du tout de monnaie en circulation. L'idée ici est de mettre en place un équilibre entre la quantité de moyens (équilibre entre la monnaie dette et la monnaie non-dette) et le fait que ces moyens ne soient pas contraints à une économie essentiellement extractive, ni ne s'engouffrent pas dans des bulles spéculatives qui exploseront plus tard sous forme de dettes souveraines que seuls des trous dans la nature (extraction) permettront de combler. Comme je le dit souvent, ce n'est pas tant à la sueur de nos front qu'à la nature que nous devons nos réussites économiques. Si nous voulons que cela perdure, nous devons envisager la création d'un équilibre symbiotique avec elle. Nous devons donc inventer une nouvelle sorte de finance, une finance qui répare et ne motive pas qu'en la destruction.
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