Troisième partie : Faust ou Christ ?
Par Jean-Christophe Duval
Notre dilemme global prend pour origine des sous dilemmes multiples :
Nous n’envisageons la monnaie que sous un angle essentiellement matérialiste, comme si, et bien qu’elle ne soit que « fiat monnaie » (des billets sans valeur intrinsèque, mais simplement une valeur symbolique et juridique), elle ne peut se mettre au service de celui qui la possède, au titre de son intérêt particulier.
Nous avons besoin d’un système monétaire capable de financer des projets de très très long termes et de bien commun sans que cela n’engage de pertes pour qui que ce soit, ni n’ait besoin de retour sur investissement pour qui que ce soit (particuliers, institutions, entreprises). Nous avons donc besoin d’une « finance au-dessus de la finance », c’est-à-dire d’une finance qui ne soit pas concernée par des effets de patrimoine particulier, d’épargne ou de spéculation. Une finance capable de financer des projets « qui coûtent mais ne rapportent pas » sans qu’il n’en coûte à personne et sans que cela ne dût rapporter à qui que ce soit, si ce n’est aux entreprises qui percevront les appels d’offres.
Les projets relevant du bien commun, tels que la transition écologique sont des domaines qui concernent « tout le monde en général, mais personne en particulier ». Cela veut dire que personne en particulier ne se résoudra à financer de sa poche et à fonds perdus, des domaines qui concernent un endroit où c’est tout le monde qui devrait payer pour tout le monde. La logique régalienne fut probablement imaginée pour résoudre ce problème.
Ici, il n’est pas question de la « découverte du prix » selon la pensée de l'école libérale autrichienne (Théorie de l’utilité marginale), mais de la « négation du coût ». Car les coûts, notre cher « homo œconomicus nombrilis œgoïstus », il n’aime pas ça ! Surtout lorsque cela ne concerne pas son endroit particulier direct, immédiat ou ses plaisirs. Si nous avons besoin de financer des choses que l'intérêt particulier réfute, alors nous pourrons possiblement les financer sans qu'il en coûte au particulier, voire en relançant une nouvelle sorte d'entrepreneurs. Forcément, cela implique une méthode monétaire hétérodoxe ; à savoir, créer de la monnaie là où le marché n'existe pas ! Mais peut être en créant de nouvelles sortes de marchés, les marchés de la bienveillance sociale et de la régénérescence du bien commun ! Au titre de quoi ces labeurs non-marchands ne mériteraient que l'on y envisage aucune valeur, sous l'idée simpliste qu'ils coûtent et ne rapportent pas ?
Plus besoin donc de chercher à transformer le plomb en or, puisque l’on a réussi à transformer le papier en argent et que cet argent « force chimique de la société » (Karl Marx) peut circuler. On retrouve d’ailleurs le thème de la transmutation chez les observateurs de la révolution industrielle : « de cet égout immonde, l’or pur s’écoule », écrit par exemple A. Toqueville à propos de Manchester. Cette création monétaire est toutefois à double tranchant, à la fois remède et poison. D’un côté, elle permet la mise en circulation de l’argent, les investissements, des actions créatrices produisant un élan économique, de l’autre, dans l’œuvre de Goethe, interviennent trois ruffians tout droit issus du 7ᵉ cercle de l’Enfer de Dante, Fauchevite, Hatepilleuse et Grippedur, symbolisations de la violence brutale, de la cupidité et de l’avarice.
Extraits du blog de Bernard UMBRECHT (Le SauteRhin)
L’homo œconomicus étant égoïste par nature selon Adam Smith et par politique selon Ayn Rand, il n’envisage certainement pas faire preuve d’un « altruisme collectiviste » en donnant gracieusement son argent dans des domaines que son intérêt direct ne reconnaît pas (la négation du coût). Pour cela, il usera de stratagème divers et variés tels que le climato-scepticisme, l'aléas moral, ou l’épouvantail de l’(hyper)inflation !
« De l’impôt ? Des coûts ? Des charges nouvelles ? Pour quoi faire encore !? Alimenter en moyens toutes une parasitocratie socialiste ? Une nomenklatura de copinages ? Une « mafia rose » qui se servira de ces moyens pour faire perdurer son pouvoir à grand coup de mesures démagogiques ? Du pain et des jeux ? Réduisant le travailleur libéral tel une « vache à lait » (à impôts) ? Un endroit où le courage des uns servira à financer la paresse des autres ? Ces fous de socialistes avec leur État providence ? La sécurité sociale, et la gratuité des études pour tous ? Quelle drôle d’idée ! Le mérite ! Il n’y a que ça de vrai ! Et le marché organisera toutes les actions humaines et les dus de chacun selon un ordre spontané ! »
Donc, nos amis libéraux sont enfermés par une vision de la monnaie qui leur interdit d’envisager celle-ci autrement que par une logique extractive (la transformation des ressources naturelles en marchandises, puis en chiffre d’affaires). Celle-ci étant prétendument neutre et devant obéir à une quantité définie, créer de la monnaie pour autre chose de la justification d’un intérêt particulier semblerait propice à une (hyper) inflation. Ainsi semble-t-il, le seul moyen de créer de la richesse et de faire réussir des hommes dans des professions est de produire encore et toujours, car seule la production serait susceptible de créer de la richesse, de la croissance. Mais qui est le premier payeur de cette croissance ? Le courage des hommes "labeurants" ? Oui, mais pas que ! N’oublions pas que c’est la nature qui nous donne toutes ces choses qui sont travaillées sur nos établis et transformées dans nos usines. Et si nous voulons produire plus pour mériter, nous devrons prendre plus à la nature pour produire. Ceci, compte tenu du fait que la population augmente, que les prix baissent par les effets de la démocratisation des inventions, mais aussi de la concurrence, de l’obsolescence programmée dans le but de faire perdurer les ventes et donc, les entreprises et avec elles, des systèmes d’organisation humaine par le « saint marché » organisateur spontané de l’ordre social, culturel, économique.
Dans tout ce cirque dévastateur et extractif, nous ne percevons que trop rarement que nous nous forçons à « faire pour faire ». Produire des choses inutiles parce que ces choses « inutiles » sont indispensables pour justifier les réussites sociales ordonnées par une monnaie diffusée sous la forme d’une dette à devoir. Un endroit où la seule façon de rembourser cette dette en monnaie sera d’extraire des ressources naturelles, de les transformer en marchandises, de les vendre, et de rembourser cette dette grâce aux chiffres de nos affaires. Un endroit absurde où la seule raison de « l’utilité » sera de produire des choses inutiles et nuisibles dans le double but de réussir socialement, tout en remboursant à des banquiers les moyens de nos réussites sociales.
Dans cette logique productiviste, on ne tient pas compte des externalités négatives du productivisme, ni même du piège que j’ai nommé « le mythe de Sisyphe de la dette » il faut préalablement produire en détruisant pour avoir les moyens de réparer les nuisances de nos productions. Une malédiction perpétuelle et absurde où plus nous devrons produire, plus les dégâts engendrés par nos productions seront grands, et plus nous devrons produire davantage pour réparer les dégâts précédents en en engendrant de nouveaux encore plus grands. Ainsi s’engendrent spontanément les drames de notre monde car, il s’organise sous l’égide d’un système financier diffusant une monnaie essentiellement sous la forme d’une dette.
À notre époque, nous ne savons toujours pas nous défaire de notre « vision primitive du matérialisme » : nous prélevons parce que cela rapporte, nous ne réparons pas parce ce que cela coûte. La simple idée de déconnecter la monnaie de la marchandisation de choses prises à la nature semble relever de l’hérésie ; à savoir, créer une monnaie qui serait le moyen pour les hommes de régénérer la nature sans préalablement en prélever quoi que ce soit de « à vendre » relève d’une prouesse intellectuelle qui semble provenir d'un autre monde. Mais la monnaie n’est qu’une "vue de l’esprit"… Une idée devenue une croyance, une certitude, une culture.
Pour financer des choses qui relèvent du commun (la « négation du coût », par opposition à la « découverte du prix »), nous devons inventer un système monétaire où la dépense n’en coûtera à personne et où personne ne devra attendre après un retour sur investissement par l’épargne ou par fonds spéculatifs. Nous devons inventer une institution mandatée (sans doutes internationalement) pour créer le chiffre d’affaires à un endroit où la marchandise n’existe pas. Une institution capable de transformer les « B.A en C.A »… Les bonnes actions en chiffre d’affaires !
En des termes plus simples, le « Jésus-Christ de la finance » n’existe pas, il ne nous reste plus qu’à l’inventer. La philosophie est simple : Si la nature nous donne « gratuitement » ses choses, alors nous devons créer « gratuitement » le moyen de réparer la nature les dégâts de nos prélèvements. Voire de payer des hommes (ou des entreprises) pour qu’ils ne soient tant soumis à des actes extractifs et dégénératifs, comme lorsqu’ils le sont sous le joug d’une dette. Ce que j’entends par « gratuitement » sera la diffusion d’une monnaie qui ne serait pas la contrepartie d’une dette à devoir. Une monnaie déconnectée d’une obligation de marchandisation, une monnaie diffusée en contrepartie d’une action régénératrice, sociale, humanitaire, des choses qui, habituellement « coûtent mais ne rapporte pas », une monnaie capable de financer des projets de très très longs termes sans qu'il n'en coûte à personne et permette de relancer une nouvelle sorte d'économie. Une économie qui tire sa raison non plus de l'extraction et de la nuisance, mais la réparation et la bienveillance.
Comprenons que si cette monnaie pour le bien commun était une dette, cela nous contraindrait à du prélèvement de ressources naturelles pour la rembourser. Lorsque l’on sait qu’une dette ne se rembourse que par le prélèvement de ressources naturelles transformées en marchandises puis en chiffre d’affaires, tenter de résoudre (ou plutôt de minimiser) le problème du « grand collapse » en demeurant sous notre système financier, reviendrait à créer une dette pour sauver le monde pour ensuite devoir tuer le monde pour rembourser cette dette.
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