Deuxième partie : Équilibre et symbiose
Par Jean-Christophe Duval
En tant qu’espèce au sommet de la pyramide de l’évolution, nous n’avons su que vivre en prédateur sur tout le reste du monde animal et végétal. Gouvernés par nos péchés, nous n’avons fait que mettre la nature au service de nos paresses, de nos gourmandises, de nos colères, de nos envies. Peu à peu la planète est devenue la vache à lait de son espèce dominante. Plus les humains furent nombreux, plus ils en réclamaient et exigeaient des choses ne pouvant qu’engendrer déséquilibres et destructions.
De plus, les hommes se livraient à des guerres en vue de l’appropriation, de territoires, de ressources, de biens, de privilèges. Ils étaient les principaux artisans de la catastrophe qui les affectaient. Le plus fou est qu’ils pensaient que s’ils étaient dans la détresse, c’est qu’ils n’avaient pas encore assez de conquêtes, de biens, de propriété à faire « fric-tifier » aux dépens du voisin tout aussi avide, ambitieux.
Ils créaient des écoles de commerce dans le but de parfaire leur créativité destructrice, leur « destruction créatrice ». Ils devaient inventer, créer, innover dans des choses à vendre et à enrichir. Peu importe les utilités réelles, il fallait inventer des nouveaux besoins, des activités d’utilité artificielles, des « bullshits causes » permettant un « bullshit business ».
L’objet de cette comédie était de perdurer économiquement et pour cela, inutile de se poser des questions sur la pertinence réelle de ce que nous faisions. Les hommes inventaient des absurdités à obsolescence dans le but de renouveler perpétuellement les commerces de ces choses. Ils s’étaient enfermés dans une dynamique où le mérite était sinequanone à la productivité. Un endroit où l’oisif était vicieux et méprisé tandis que l’actif vertueux et reconnu. Nous ne faisions que « faire pour faire ».
L’humain s’était enfermé dans sa morale absurde, produire pour produire, encore et toujours, dans l’unique but d’auto-justifier sa propre existence. Tous entraînant chacun et chacun entraînant tous dans cette triade infernale :
Notre société fonde nos peurs.
Nos peurs fondent nos comportements.
Nos comportements fondent notre société.
Le grand mal d’être soi, libres et responsables plus vite, plus fort, plus grand que tous les autres, sous peine de rejet de notre être social par les autres. Ceux qui font semblant de nous aimer mais qui au fond, ont de nous une peur bleue. Ils redoutaient de nous voir réussir plus que eux, les obligeant à réussir plus que nous. Dans cette grande bagarre des « mains invisibles », nous ne connaissions que trop rarement le vrai repos.
Nous avions bâti un monde fondé sur la lutte de tous contre tous, justifiant l'égoïsme, glorifiant l'individualisme et la loi du plus fort. Tout cela au nom du mérite, de la justice et de la morale de l'effort. Sous cette fameuse morale de l'effort, nous nous imposions tous ces efforts que dans le but de mériter de les avoir faits. Ce qui en soit, rendait l'effort absolument immoral.
Hobbes dans Léviathan, comparait la société humaine à une course : dépasser les autres c’est la félicité. Être dépassé c’est le déshonneur. Abandonner la course, c’est mourir.
Dans nos courses au bonheur consumero-productiviste, nous dépensions de l’argent que nous ne possédions pas (à crédit) dans des objets absolument inutiles, dans l’unique but d’impressionner des gens que nous ne supportions pas et qui ne détesteraient et nous jalouseraient plus encore de nos démonstrations ostentatoires. Et le soir venu, nous nous précipitions pleurnicher sur les épaules de nos psychologues et sur nos boites d’anti-dépresseurs.
Les hommes ne faisaient pas nécessairement des choses socialement utiles, ils faisaient juste parce que la société leur disait de faire, de produire. Parfois certains d’entre eux voulaient faire des choses socialement et écologiquement utiles, mais la finance les ramenait à l’ordre, leur disant que seules les choses rentables étaient reconnues comme utiles. La bienveillance, la coopération, la régénération relèvent de l'intangible, ces choses ne sont pas comptabilisables, donc elles ne comptent pas.
Mais il faut comprendre que les domaines les plus « rentables » sont généralement les plus extractifs et dégénératifs. C’est la nature qui est le premier payeur de la rentabilité. Toutes ces babioles que nous produisons sont faites à partir de ressources naturelles pillées à la nature. Plus vous voudrez d’écrans, de téléviseurs 4k, 8k, 16k, de smartphones, plus vous aurez besoin d’extraire des terres rares engendrant des catastrophes et toutes sortes de nuisances environnementales.
Les hommes demandent beaucoup trop à la nature que ce que cette dernière n’est capable de se régénérer à sa propre vitesse. Nous devons dorénavant imaginer un équilibre symbiotique entre la nature et les hommes. Si nous prélevons à la nature de façon gratuite, alors nous devons inventer de façon gratuite un système permettant cet équilibre.
Nous devons faire comme si la nature était une entreprise qui nous facturait les choses qui nous lui prenons. Comme la nature ne sait pas tenir de comptabilité, se sera à une institution humaine de tenir ce rôle à sa place. Pour cela, nous devons nous déconnecter de la façon dont nous envisageons notre système monétaire. Les hommes n’envisagent la solidité d’une économie qu’en fonction de sa faculté de créer de la richesse. Mais la richesse n’est pas l’argent, elle est tout ce que le commerce a permis de faire. L’argent n’est ici perçu que comme un « média » du commerce, la liquidité de la marchandise. Donc selon cette vision, si la marchandise n’est pas, alors l’argent n’a aucune raison d’être. Cela veut-il dire pour autant que toutes les choses ne relevant pas de l’échange intéressé (utilité marginale et découverte du prix) n’auraient aucune raison d’être ? Que les choses relevant du commun seraient négligeables simplement parce que le particulier n’y voit aucun intérêt à son endroit personnel ?
La logique régalienne permit en partie de répondre à ce dilemme entre le public et le particulier. Nous levions des impôts dans le but de créer des polices pour maintenir l’ordre, des justices pour punir ceux qui n’avaient pas su se tenir à cet ordre et des armées pour protéger les peuples contre les jalousies et les colères d’autres peuples. Mais face à un problème à la fois discuté (le climat) et relevant d’une logique de bien commun et dans un monde où foisonnent les paradis fiscaux, il semble assez illusoire d’attendre de la générosité de la part d’égoïstes et de la promptitude de la part d’inlassables discuteurs.
De surcroît, il faut bien comprendre que notre façon « matérialisante » d’envisager la monnaie nous fait pénétrer dans un dilemme majeur : il faut extraire toujours plus (croissance) pour gagner les moyens de réparer (impôts) les dégâts de l’extraction. Tout simplement parce qu’intellectuellement nous n’avons toujours pas franchi le cap de déconnecter notre système monétaire d’une certaine idée matérielle et donc, d'une économie extractive. Ici, la richesse c’est la marchandise ; si les services immatériels de bien commun ne rapportent pas (découverte du prix), c'est qu' ils coûtent, alors on ne les fait pas.
Nous extrayons donc pour justifier l’existence de la monnaie et nous permettre nos réussites sociales, et nous n’imaginons pas de créer une monnaie déconnectée du matériel pour nous permettre de réparer les dégâts de l’extraction. Certains individus retranchés dans des instincts archaïques de survie parlent même de revenir à un étalon or. Mais il faut comprendre qu’une monnaie matérielle ne fait qu’appeler au matérialisme. Si nous voulons réparer les dégâts du matérialisme et envisager une économie symbiotique et durable avec la nature, il nous faut un système monétaire n’appelant pas au matériel. Et ce, en complément équilibré de celui que nous avons, tout en le réglementant (interdire l'obsolescence programmée, limiter les activités à énergie brunes, détecter, comprendre et limiter (voire interdire) les "bullshits causes" ainsi que les activités d'utilité artificielles).
Nous devons comprendre une notion qui ne nous apparaît jamais par habitude ou par culture : C’est la nature qui est le payeur en premier ressort de notre croissance, de notre richesse et qui, par le biais de la transformation de ressource naturelles en marchandises puis en chiffre d’affaires, est le support de la justification de la monnaie. Ce sont des choses dont on ne vous parle jamais dans les grandes écoles de commerce. Par culture, par aveuglement ou par inconscience, tout cela semble aller de soi. Nous prenons pour faire de la richesse. Nous ne réparons jamais car, il en coûterait à la richesse.
Nous devons alors envisager un système monétaire qui nous permette de réparer la nature sans qu’il en coûte à qui que ce soit et sans qu’il ne soit nécessaire de rapporter à qui que ce soit. Il est donc inenvisageable pour cela de faire appel à de l’épargne, de la rente ou des institutions spéculatives.
Comprenons que si la monnaie est (prétendue) neutre, cette neutralité disparaît dès lors que la monnaie devient propriété de quelqu’un (particulier) ou de quelque chose (institution, entreprise), si tel est le cas, la monnaie se mettra naturellement au service de l’intérêt de ces choses. Le bien commun c’est ce que tout le monde détruit parce que cela rapporte et que personne ne répare parce que cela coûte. Pour réaliser des choses relevant du bien commun, nous avons besoins d’un système monétaire où la monnaie serait réellement « neutre » dans la mesure où elle répondrait à des critères bien précis :
- Sa dépense « à fonds perdus » ne doit coûter à qui que ce soit. Elle n’est la propriété de personne. Le fait qu’une monnaie soit la propriété de quelqu’un ou d’une institution interdit son utilisation à des domaines relevant du très long terme, rendant ces projets dénués de retour sur investissement. Nous devons créer une monnaie permettant des choses dénuées de rentabilité, là où personne ne l’utiliserait à « fonds perdus ».
- Son utilisation (« à fonds perdus ») n’a pas besoin de rapporter à qui que ce soit. Idem que le premier point, elle ne saurait provenir de l’épargne, dans la masure où personne n’engagerait son épargne à perte. Cette monnaie ne saurait être engagée dans des domaines spéculatifs ou rentables.
- Cette monnaie ne coûterait (pratiquement) rien à créer. Ce n’est donc pas de l’or ou une cryptomonnaie, mais de la création « ex nihilo ». Sa raison d’être sera adossée sur une « tangibilité immatérielle » ou des services non-marchands.
- Elle n’a aucune valeur intrinsèque. Ce n’est donc pas de l’or ou une cryptomonnaie.
Dès lors que la monnaie est atteinte par l’un seul de ces critères, sa neutralité est une illusion. Dans la mesure où la neutralité d’usage est remplacée par l’intérêt d’usage.
Nous avons donc besoin d’une institution au-dessus des banques (et donc, des intérêts) pour diffuser une monnaie qui serait le « chiffre d’affaires » des entreprises œuvrant pour la régénérescence de la nature. Cela pourra éventuellement être une banque centrale (BCE) ou une banque d’investissements (BEI). L’objet sera de créer le chiffre d’affaires là où habituellement on ne se trouve pas car, il n’y a pas de marchandises. Nous créons ici le chiffre d’affaires de la « non-marchandise ». Créant ainsi des entreprises et des emplois dans des domaines écologiques, sociaux et humanitaires. Des domaines qui habituellement coûtent et ne rapportent pas, dans le cadre de notre système monétaire actuel. Des domaines absolument déconnectés de la marchandisation des ressources naturelles. Nous avons donc créé des entreprises de la nature, ainsi que des emplois, des sens, des raisons, des mérites provenant du fait de régénérer la nature, l’humain, la société et d’engendrer symbiose et durabilité entre les hommes et la nature.
À la différence de notre système monétaire où la monnaie est une dette qui nous oblige dans sa gestion drastique à une lutte de tous contre tous, nous inventons une coopération de tous avec tous. Un endroit où la monnaie n’est pas une fin, mais un moyen. Le moyen de faire des choses qu’une dette tenue à la rentabilité ne permet pas. Une monnaie qui n’oblige pas les hommes à une servitude les poussant à la prédation et au pillage de la nature.
L’argument ici est simple : si nous prenons des choses que la nature nous fournit gratuitement et que nous ne prenons pas garde de régénérer cette dernière dans le souci d’un équilibre et d’une grande durabilité, alors, nous devons créer « gratuitement » (Cad, une monnaie non-dette) le moyens de régénérer la nature. Nous devons faire comme si la nature était une entreprise qui, grâce à son chiffre d’affaires provenant de son commerce avec les hommes aurait les moyens d’effectuer ses propres réparations, sa propre maintenance, de sorte à faire durer le « commerce » de ses choses avec les hommes. Nous créons ainsi justice, pragmatisme et symbiose vis-à-vis de dame nature. Et en plus, on crée des emplois, lançons une nouvelle sorte d’économie : sociale, humaine, écologique, durable.
Cette monnaie que nous créons pour la nature, ne saurait en aucun cas être une dette, puisque une dette ne se rembourse qu’avec de la croissance. Nous devons, au niveau des banques centrales créer une monnaie non-dette qui permettra aux hommes de préserver la nature, et un nouvel imaginaire, Un autre récit.
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Perchey Daniel (samedi, 23 novembre 2019 10:55)
Salut JC
Comme souvent très intéressant tout ça. Il y en a un qui cogite par ici. Mon manque de culture économique me rend obscur pas mal de concepts et par la même j'ai du mal à matérialiser concrètement vos idées. Je pense ne pas être un cas isolé.
Petits conseils si vous le permettez afin de toucher la masse. Vulgarisez le plus possible, donnez exemples et illustrations concrets, du quotidien.
Faites relire vos écrits car j'y trouve assez souvent fautes (correcteur orthographique ? Complétion automatique ?), Lourdeur de phrase voire erreurs syntaxiques ce qui pourrait discréditer le discours aux yeux de certains. Ce serait dommage, non ?
Hormis ceci, mes encouragements. L'éducation populaire est une des clefs du changement radical qu'il nous faut initier.
Salutations fraternelles à tous les résistant (es)