L'objet oublié de l'école
Par Jean-Christophe Duval
Faire des hommes libres devrait être l'objet premier de l'école. Cependant, il semblerait qu'avec le temps et les générations, le système dans tout son ensemble ait perdu de vue ce noble idéal. Ou du moins, la notion de liberté a pris avec le temps et les convenances des programmes académiques, une définition libérale de la liberté.
Se conformer à une draconienne réalité de compétition entre les hommes et former l'apprenant à devenir le plus opérationnel possible dans ses luttes futures de la triste et dure réalité économique. L'individu ne semble devoir sa liberté qu'à la seule responsabilité, et à sa seule compétence économique, et que cette dernière serait, à priori, consécutive à sa formation scolaire.
Apprendre à devenir un esclave du système, plutôt que de chercher à comprendre et à remettre en question le système, voilà donc ce qu'est devenu la normalité de l'école moderne, et ce, depuis quelques siècles déjà. Albert Jacquard disait que « L'école ne fait que former et sélectionner les individus les plus dangereux ».
L'objet de l'école, dorénavant, est de transformer l'humain en loup pour apprendre à mieux se battre dans un monde d'humains devenus loups. Le but sera de faire en sorte que nos crocs de loups soient professionnellement plus dangereux que les crocs du loup d'en face. Ce qui nous donnera plus de chances lors de combats liés au culte de la performance. On nous apprend à mieux nous battre dans les combats, et non pas chercher a renverser le système qui mets en place les combats et entretient, par « stratégie du maintien artificiel de la rareté », le paradigme de la compétition et de la prédation. Sous l'égide de la pensée nauséabonde de la loi du plus fort, et que se serait ça et rien d'autre qui ferait tourner le monde.
Chaque être est unique ! Chaque enfant est un trésor de « subjectivité chaotique et créatrice », une sorte d'événement improbable à mi-chemin entre le gazouillis et le libre arbitre, que l'école s'acharne a enfermer dans le carcan d’un conformisme béat. L'uniformisation en la bonne norme, bouscule et écrase les folies romantiques et les « candeurs naïves et altruistes », cependant, on n'éduque pas des egos comme on éduque des robots !
Et quand on a le malheur de poser des questions sur la pertinence de tout ceci, la seule réponse des professeurs se résume en la simplissime phrase de fuite en avant : « c'est comme ça ! » Cette réponse « fourre-tout » vous a suffi ? Pas moi ! Et c'est bien ce qui a fait mon malheur quand j'étais gamin à l'école.
Très tôt, on fait entrer l'apprenant dans le « gladiatora de l’éthologie humaine ». Les notes, la recherche de l'excellence, le normalisme de la compétition, l'acceptation de fait de la rareté paradigmatique qui entretient tout cela, comme si ce modèle était unique et exclusif et que toute autre chose ne saurait être possible. Jean Jacques Rousseau disait « L'humain naît bon, c'est la société qui le corrompt ». J'ajoute que nos écoles actuelles ne forment pas des individus libres parce que pensants, elles forment des individus non-libres parce que « bien-pensants ».
L'école moderne nous fait incorporer plusieurs choses parmi lesquelles ; un métier, la discipline, le culte de la performance, la benoîte acceptation de la compétition et de la loi du plus fort, l'acceptation d'un ordre social déterminé depuis déjà plusieurs siècles. Mais le plus fort est qu'elle parvient à nous faire entrer dans nos cerveaux un truc absolument paradoxal : nous ne devons notre liberté qu'à la servitude et nous ne devons notre futur bonheur que dans une acceptation sans failles à un conformisme culturel.
Il convient ici de faire la différence entre l'enseignement, l'éducation et la formation. L'école est soumise à l'obligation de former des individus aptes au marché de l'emploi (la formation professionnelle). Nos existences se résument à une obligation de devenir un homo œconomicus parfaitement opérationnel pour survivre, à l'instar des époques où les premiers humains devaient chasser et cueillir pour survivre, notre fierté dans la carrière professionnelle a remplacé notre fierté de chasseur.
C'est ici que la formation professionnelle de l'apprenant répond à une obligation paradigmatique à la servitude volontaire. On n'éduque pas trop les individus avec de la philosophie, de la science politique ou de l'histoire, cela pourrait les faire dangereusement réfléchir. Il semblerait que si les hommes se mettent à trop réfléchir, ils soient beaucoup moins gouvernables, du moins par une tyrannie subtile. Alors on leur enseigne les maths et la lecture, juste ce qu'il faut, mais pas trop. Ils sont ainsi aptes à compter, lire des notices, des consignes et des plans, défendre des textes de lois. Cela les positionne sur un terrain propice à la formation professionnelle. On produit des individus intellectuellement aptes à rentrer docilement dans les petites cellules de la matrice. La philosophie est dangereuse, elle produit des hommes qui pensent trop.
Les académies sont parfois sollicitées par des professeurs idéalistes souhaitant réformer le modèle scolaire. Ceux-là, et c'est tout à leur honneur, ne sont que des « Don Quichotes » face à des « Ayatollahs » académiques. L’académie fait partie de ces institutions bienveillantes, toute-puissantes et bien-pensantes dont la France conserve jalousement le secret de fabrication. Ces derniers, bercés par la douceur de la carrière, voient d'un très mauvais œil, l'hypothèse d'un éventuel changement ; changer la méritocratie, c’est changer la façon dont on produit des grades.
Ainsi, croire que l'école est une institution prônant l'égalité est un leurre. L'école ne produit pas de l'égalité, elle produit de la hiérarchie. Elle ne produit pas de la liberté, elle produit l’acceptation normée de la servitude. Elle ne produit pas de la fraternité, elle produit de la haine et du mépris vis-à-vis de ceux qui refusent le conformisme de la compétition. Les individus les plus doués dans le système scolaire sont évidemment excellents, mais excellents dans un certain conformisme cognitif. Un conformisme qui ne fait rien d'autre que de leur intimer l'idée que le système leur demande d'êtres dociles et travailleurs, et qu'ils seront, en retour de cela, gratifiés et récompensés par du matérialisme, en échange du troc leur liberté, de leur sueur, de leur discipline, de leur motivation et du temps qu'ils consentent à donner à la corvée. La recherche de l'excellence est ici propice à la discipline et à la soumission, plutôt que de l'excellence dans la liberté de penser. Une propicité intellectuelle à la servitude volontaire. L'idéologie dominante ne saurait jamais réellement tenir son rang de domination politique, sans devenir également l'idéologie acceptée, par le biais des consensus scolaires et socio-culturels, dans l'esprit des dominés. Ainsi, ces écoles participent inconsciemment à ce qu'Edgar Morin appelle « l'aveuglement paradigmatique ».
Je me suis mis en froid avec l'école le jour où j'ai compris ceci : Ce type d’enseignement, dans son objet final, n'a pas été inventé pour former des hommes qui tenteront un jour de rendre le monde meilleur ; ces écoles ne sont là que pour former des hommes à sauver leurs peaux dans un monde de fous.
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Peretz (mardi, 13 août 2019 13:20)
Alors qu'est ce que tu proposes ?