Combien de tâches sont à faire, mais cependant ne trouvent pas preneur parce que la spéculation a décrété (détecté) qu'elles étaient des charges et non pas des gains ? L'entretient des forêts, des espaces verts, des rivages, des océans, des rivières, des monuments historiques, des sites archéologiques, des chemins de randonnée, s'occuper de nos anciens, de nos jeunes, de nos déshérités, de nos handicapés, le soutien scolaire, sont des labeurs à faire et seraient d'une réelle pertinence à être faits, mais ils ne se transformeront en emplois que si un organisme est prêt à vous payer un salaire pour cela. Or, ce sont des choses non-rentables d’un point de vue strictement comptable, donc, elles seront reléguée au domaine public ou de la gestion du bien commun ; notre logique monétaire actuelle ne saurait financer ces activités jugées « non-rentables », (ou disposant d'une certaine rentabilité « indirecte ») que par le biais de l'impôt, la dette publique.
Tiens ! Soyons fous et voyons grand ! Ajoutons à cette liste le démantèlement des vieux porte-avions nucléaires que les Américains s'apprêtent à couler par 11 000 mètres de fond par souci d'économie. Ce sont, entre autres, ces choses qui seraient réellement utiles et éthiques à faire proprement ; le culte micro-économiste de la « gestion des ronds de carottes » nous contraint à le faire salement.
C'est l'usure bancaire (la monnaie dette) elle-même qui préférera déployer une force de financement à l'endroit d'une chose, qu'à la condition qu’elle soit rentable, de sorte à rembourser l‘emprunt. Ainsi, on évitera soigneusement les actions qui coûtent, pour sélectionner essentiellement les actions qui rapportent. La logique marchande elle-même nous pousse à la destruction chronique de notre environnement. Comme je le disais lors d’un précédent post, nous détruisons notre monde pour manger, séduire (cad, appartenance, reconnaissance, gratification, etc...) et rembourser à des banques le tarif de nos réussites sociales.
Mais comme les activités citées plus haut ne relèvent pas de l'échange marchand ou ne provoqueront pas ou peu de plus-value, la finance, poussée par la logique du « retour sur investissement », préférera placer de l'argent dans des domaines qu'elle détectera comme des gains et évitera au maximum les charges. Les “charges” seront donc réalisées par les domaines publics et donc, avec l'argent de l’impôt. Ces organismes publics sous-traiteront ces tâches avec des associations de réinsertion. Cette solution permettra que ces labeurs soient effectués par des RSAstes prêts à tout pour un salaire de subsistance, et sans que ces tâches n'aient coûté trop cher à la collectivité tributaire de l'argent de l'impôt.
Nous pouvons donc dire, il y a beaucoup de travail (travail en puissance), mais pas beaucoup d'emploi (travail en acte). La raison est ici que la logique libérale impose une idée que l'utilitarisme ne saurait être pertinent que s'il est orienté qu'à une finalité mercantile et spéculative. On préférera toujours produire et vendre des bagnoles de luxe, des smartphones et des avions de chasse parce que cela rapporte de la richesse à des spéculateurs, et que cela ne fait qu'entretenir un matérialisme anthropologique et hypergamique à la base des rouages de nos comportements. Cette même logique spéculative refusera toujours de prendre en charge la réparation des externalités négatives pour lesquelles elle est directement ou indirectement responsable.
Les entreprises asiatiques de construction d'écrans s'apprêtent à lancer sur le marché mondial des écrans 8K. Eh oui ! Il faut bien remplacer vos bons “vieux” 4K complètement démodés de l'année dernière... Il a bien fait son temps le bougre, n'est ce pas ? Et vous allez voir quand le 16K va sortir dans 6 mois, votre 8K sera complètement démodé lui aussi ! Bon pour la poubelle ! Trêve de plaisanteries. Hormis le fait que ces remplacements occasionneraient des déchets qui ajoutent à la pollution planétaire, ainsi qu'aux prélèvements irrationnels de terres rares (métaux rares tels que le cobalt), des ingénieurs ont évalué que si les 300 millions d'Américains remplaçaient leurs « vieux » téléviseurs 4K « absolument obsolètes », l'utilisation de ces téléviseurs 8K ferait augmenter la consommation électrique américaine de l'équivalent de 3 villes comme San Francisco. La planète avait bien besoin de cela n'est ce pas ? Évidement, les banquiers se pressent toujours pour financer ces indispensables « bullshit necessities » polluantes sur le marché. Il faut bien faire tourner la roue du business, des bullshit jobs, de la spéculation, et du consumérisme ostentatoire.
Notre système monétaire (monnaie dette) engendre spontanément une économie extractive. Face aux choses utiles qui ne rapportent rien, on préfère faire des choses nuisibles, mais qui rapportent. Par exemple, on préfère tuer des baleines parce qu'il faut faire de l’argent. On préfère rejeter des requins à la mer après leur avoir coupé leurs ailerons parce qu'il faut faire de l’argent. On tue les bébés phoques, les coyotes, les visons, parce qu'il faut faire de l’argent. On fabrique des choses dans des pays à bas coûts avec des bisphénols parce qu'il faut économiser de l’argent. On pollue à grands coups de phytosanitaires parce qu'il faut faire de l’argent. On invente des vaccins qu'on injecte dans les corps de nos gosses, parce qu'il faut faire de l’argent. On crée de guerres pour vendre des armes, parce qu'il faut faire de l’argent. On vous crée des problèmes pour mieux vous vendre la solution, parce qu'il faut faire de l’argent. On vous crée de l'imperfection pour vous vendre de la perfection, parce qu'il faut faire de l’argent. On vous fabrique des faux besoins pour vous vendre la réponse parce qu'il faut faire de l’argent. On fabrique des machins à obsolescence programmée, parce qu'il faut faire de l’argent. On vous crée de l'insécurité pour vous vendre des flingues et des gilets pare-balles, parce qu'il faut faire de l’argent.
Et pour toutes ces activités d'utilité artificielles, il faut des encadrements, des vendeurs, des gestionnaires, des comptables, des communicants, des DRHs, des VRPs, bref, des métiers créés spécialement pour des « jobs-bullshit ». On crée des activités irresponsables pour y mettre des jobs de responsables.
Nous avons orchestré notre monde autour de la superficialité de l'action, et nous nous enorgueillons des grades sociaux que ces labeurs artificiels nous confèrent. Pour la simple raison que nous sommes incapables de nous avouer une évidence pourtant flagrante ; on nous martèle que le travail constitue la norme morale de l'humain, alors pour obéir à cette morale, nous nous créons de fausses utilités dans une tentative de contourner illusoirement le fait que nous soyons trop nombreux pour la quantité de labeurs réels à produire. Nous avons défini le héro social et anthropologique comme étant celui qui est le plus productif. Et comme la morale, la norme, le conformisme, le besoin d’appartenance, d’intégration sociale, le besoin de “bonheur” est conditionné au fait de réussir professionnellement, alors, nous sommes prêt à tout pour réussir, même à faire des choses irresponsables pour passer pour des gens biens.
Peu importe si ce qu'il produit est truffé de nuisances négatives, ou si cette utilité est discutable ; il faut juste que l’homo œconomicus produise pour d’autres homo œconomicus, et consomme ce que les autres homo œconomicus ont produit pour lui.
Tout cela parce que nous ne sommes pas assez créatifs ; nous sommes infoutus d'imaginer une société où la “hiérarchie” (si tant est qu’elle soit nécessaire) et le bonheur des hommes pourraient prendre leurs sources depuis autre chose que le travail au sens productiviste du terme. La pertinence d'une action semble ici adossée à une logique de rendement productiviste, jusqu'à devenir le socle culturel de la justice, de la morale et du mérite, alors qu’il n’est voulu que par une logique monétaire spéculative.
C'est la finance spéculative elle-même qui pousse le monde à l'utilitarisme marchand irrationnel. Les hommes étant soumis à l'obligation d'être rentables pour légitimer leurs positions sociales, créent pour cela des activités économiques souvent en dehors du souci environnemental, social, sanitaire, énergétique, moral ou de la pertinence elle-même. La logique néolibérale veut que tout individu ait une activité économique pour justifier son droit à l'existence (Tocqueville ou Malthus). Autrement, l'individu inutile, économiquement, serait supposé vivre au crochet des autres ou de l'état providence, et serait donc une charge parasitaire aux bons rouages de la mécanique des marchés. Cette vision du libéralisme n'est qu'« économiste » ; il vaut mieux détruire la planète en étant faussement utile, que de la laisser intacte en étant économiquement inutile.
Dramatiquement, la morale néolibérale (tout individu doit être économiquement responsable de sa sécurité et de sa liberté.) nous pousse à l'immoralité néolibérale (la somme des activités humaines nous mène à la destruction de l’environnement). Nous détruisons notre monde afin de satisfaire à notre propre obligation de productivisme et de rentabilité.
Car au sein de l'espèce humaine devenue intelligemment perfide , par « transcendantalisme anthropologique », c'est dorénavant le fric qui fonde la hiérarchie. L'ordre moral déterminé par l'argent roi est dans notre perfide civilisation actuelle, ce que furent les lances et les massues dans notre préhistoire. La puissance en richesse est dorénavant ce qui constitue la force, la stabilité, la solidité, l'ordre social, moral, et politique. Malheureusement, ce que nous vivons actuellement, n'est autre que la suite logique du matérialisme historique définie par Marx et Engel, “l’usus et le fructus”, l’accumulation primitive du capital.
Ainsi, la logique du « réussir coûte que coûte » dans un environnement où les places “réelles et pertinentes” sont déjà occupées par d’autres, incite les hommes à se créer de fausses utilités, pour “réussir artificiellement”. Et pour avoir ces fausses utilités, ils se créeront de fausses activités. Ils tireront de ces fausses activités les responsabilités professionnelles et les grades qui seront le socle de leur ordre social, de leur méritocratie distinctionnelle, de leurs revenus. Le tout, s'inscrivant dans l'hypergamie anthropologique, la sélection sexuelle du plus apte (voir aussi le darwinisme social de Herbert Spencer).
Le néolibéralisme nous oblige à adopter une version biaisée des notions mêmes de la responsabilité et de la pertinence. Nous nous contraignons à adhérer à une version productiviste et marchande du travail, pour sembler être des individus capables et responsables dans l’univers enchanté du libre-marché et de l'innovation salvatrice, alors que les conséquences environnementales, éthiques et sanitaires de ce dogme sont désastreuses et irresponsables.
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Lecouffe (dimanche, 05 mai 2019 06:23)
J'aime l'analyse il manque la déclinaison des possibilités alternatives. Mais commençons par le début. Je me permets de partager ton message
Gautier (dimanche, 05 mai 2019 09:25)
Idem lecouffe.merci
Combillet Céline (dimanche, 05 mai 2019 09:26)
Analyse pertinente! Inversion des valeurs, on doit arrêter ce cercle d inepties : réintroduire la morale au niveau de la chaîne de production ,de consommation , revoir notre éthique, notre façon de vivre et arrêter de gober aveuglément....