Notre système monétaire motive la dynamique du monde à une économie extractive. Un des plus grands paradoxes actuel, de par mon analyse, est que les tâches les plus utiles à la société (les « real jobs ») sont celles qui sont les plus méprisées par l’économie et ainsi, d’une certaine manière par l’orgueil des gens. La bienveillance est coûteuse en temps et ne rapporte rien, en revanche, les tâches les plus inutiles et les plus nuisibles sont celles qui font l'objet de la plus grande gratification et des plus grandes louanges socioculturelles, tout simplement parce qu’elle sont rentables. C'est ainsi que notre système monétaire nous contraint à une vision paradoxale de l'utilité, nous préférons l’utilité économique parce qu’elle nous permet de gagner nos vies, et nous méprisons les jolies choses, les actes beaux parce qu’ils semblent n’être que perte de temps, dans un monde qui nous rappelle sans cesse qu’il est de l’argent.
Tout cela engendre un monde marchand qui, selon moi, génère une sorte de mérite du productivisme. Nous nous sommes créé cette trame pour satisfaire notre « ordre éthologique ». La forme de mérite que ce système nous propose est paradigmatiquement indexée sur un critère marchand ; il semble que vous ne soyez méritant et respectable, que si vous êtes économiquement efficient. Mais l’efficience économique oblige souvent à une économie extractive. Nous serons alors nuisibles à notre propre écosystème juste parce qu'il y a des récipiendaires en « bullshit-jobs » fraîchement diplômés qui ont besoin de se créer des postes pour que ceux-ci puissent sembler des homo œconomicus utiles, méritants, responsables et... sexy.
Il faut des personnels gradés dans les armées et dans le commerce de l'armement. Nous pourrions nous poser des questions philosophiques et sociologiques sur le rôle réel des armées dans un monde moderne ; très idéaliste certes et la la limite de la “bisounoursmania”, mais en quoi les armées sont elles utiles dans un monde où les peuples trouvent de moins en moins de pertinence aux conflits ? Qui ou quoi crée les conflits ? Les tensions géostratégiques ? En quoi les guerres sont utiles ? Ne pourrions-nous pas plutôt nous en passer ? Qu'avons-nous à gagner dans la guerre ? Dans la paix ? À qui profitent les guerres ? Que protègent-elles ? Quels intérêts défendons-nous ? Quel est le sens de ces choses ? N'y a t-il pas mieux à faire que de se battre ? Les guerres du passé ne nous ont-elles rien enseigné sur la façon de les éviter ? Cette bestialité primitive est-elle encore pertinente dans un monde qui désire urgemment franchir un cap philosophique ?
L'absurdité de notre monde moderne est que nous ne faisons que de créer des causes pour justifier la création des moyens, parce que le business se trouve dans le commerce de ces moyens. Que deviendraient nos "pauvres" marchands de canons si les guerres n'existaient plus ? Je suis intimement convaincu que très facilement la moitié des choses qui nous entourent obéissent à cette logique ; on nous crée des problèmes pour mieux nous vendre la solution.
Comme le supposait le président Eisenhower, dans les années 1950, ne faisons-nous pas qu'entretenir des tensions géostratégiques dans le seul but de justifier l'existence des complexes militaro-industriels ? Quand on s'aperçoit que l'emploi est conditionnel à la stabilité des individus et que ces derniers orienteront leurs bulletins de votes en direction des hommes politiques qui feront les meilleures promesses en termes d'emplois, on comprend que le problème est axiomatique ; on est prêts à promouvoir la nuisance parce qu'elle est source de croissance, d'emplois... et de réélection. Et c’est pareil pour tout, l’anthropologie humaine est couplée à une sorte de malveillance paradigmatique, qui tire son évolution depuis les leçons de ses tribulations. Mais comme je le dit toujours, “notre planète devient trop petite pour nos bêtises”.
D'une certaine façon, nous entretenons une « bullshit necessity » pour entretenir des « bullshit jobs ». Alors posons-nous encore une simple question ; vendre des canons, des flingues et des avions de chasse, c'est un « real job » ? Ou un « bullshit job » ?
Nous pourrions nous poser les mêmes questions dans de nombreux autres domaines de l'industrie. Il faut des cadres dans l'industrie phytosanitaire... C'est pertinent de polluer nos sols ? De tuer nos abeilles, nos oiseaux ? Nos poissons ? De nos écosystèmes en général ? De remplir les corps de nos gosses de perturbateurs endocriniens qui leur feront avoir une leucémie ? Il faut des chercheurs dans l'industrie pharmaceutique pour créer des maladies, et pour vous vendre ensuite le remède, des commerciaux pour les vendre. Tout cela est-il bien moral ? Il faut des ingénieurs pour faire de l'obsolescence programmée de façon à renouveler les ventes désirées à la fois, par la spéculation, une dynamique entrepreneuriale, et par l’existence même de ces postes d’ingénieurs. Tout cela semble nous dire: “vous voulez préserver vos carrières et la solidité de vos vies sociales ? Créez de la merde et vendez-là !”
Quand on y pense bien, le mérite marchand est certainement le plus logique à mettre « en paradigme », car il est quantifiable sur un simple plan mathématique. Il suffit soit de se montrer un bon producteur ou bien de se rendre propriétaire du plus grand nombre de choses possibles, de capitaliser le monde et de faire fructifier la richesse dans une logique spéculative de la sur-exploitation d'un excédent, de financiarisation de l'économie, une surproduction synonyme de plus-value, de mettre en place l'aliénation des peuples en transformant les écoles de « liberté par le savoir » en apprentissage de la performance qui rend (illusoirement) libre, et vous voilà devenu un “maître du monde”. Un monde de rois du business, où la seule légitimité reconnue est celle de la méritocratie marchande, productiviste et extractive. Un monde où le seul mérite reconnu ne saurait être que celui qui semble être le plus tangible, le plus visible, le plus compréhensible, le plus traduisible en données mathématiques. Un monde créé par des comptables pour des comptables, et qui sont incapables de compter des choses autre que tangibles, parce que le modèle qu’ils servent est incomplet, leur équation est incomplète. Car c’est une équation qui est incapable de trouver de la richesse dans la bienveillance. Dans cette jungle de comptables ; malheur à ceux qui refusent de compter ; de ceux-là, on dira qu'ils n'ont pas les pieds sur Terre.
Dans un monde marchand, par quoi d'autre légitimer un ordre social si ce n'est que par le biais d'une « mathématisation » des mérites ? Le nouveau monde révolutionné a bouleversé l'ordre des rois par d'autres types de rois (ou « d'aristocrates » de moindres rangs) légitimés par des mérites de type marchands et grâce à des niveaux de responsabilités qu'ils ont atteints dans leurs métiers ou dans des actes de propriété exclusive et de droit d'exploitation.
Avec le temps et sans même nous en rendre compte, nous avons créé un monde de fausses utilités, de sorte à donner des grades et des carrières à des homo œconomicus ambitieux, ainsi que de faire tourner une logique financière qui tire sa richesse d'une société de gens pressés et contraints de réussir et qui ne se posent jamais de bonnes questions. Nos écoles nous disent que la morale, c'est le travail, que le bonheur, c'est la réussite. Mais quels types de travail ? Quels types de réussites ?
Et justement ! Nos écoles ne font que former des gens qui ne se posent pas les bonnes questions et qui ne cherchent qu'à satisfaire des désirs de gratification et d'appartenance sociales, en réussissant leurs vies professionnelles. Réussir à tout prix ! Telle est la norme. Ici, les conséquences néfastes de la réussite semblent des critères négligeables. J'ai parfois l’impression que nous nous forçons à faire des choses, parfois même immorales, juste parce qu'il y a une certaine morale culturelle nous dit qu'il est de bon ton de ne pas rester sans rien faire.
De surcroît, si l'argent est une dette (théorie des banques à réserves fractionnaires, que nous verrons plus tard), alors il convient que celui que vous gagnez soit le fait de vos efforts et pas de l'effort des autres, sous peine de passer pour un être indigent, immoral, parasite social et irresponsable. Nous avons inventé un monde de gens rentables, névrosés et pressés. Un monde d’égoïstes, créé par des égoïstes pour satisfaire des intérêts d’égoïstes. De plus, l'effet de l'hypergamie vous rejettera si par malheur vous échouez professionnellement. Tout cela semble nous murmurer : « Vous voulez être heureux, accepté et marié ? Alors vous devez réussir ! »
Nos écoles, nos sociétés et nous-même, pris par un conformisme culturel, par l’aveuglement paradigmatique, ne faisons que former des homo œconomicus, professionnels et performants, alors que la nature, notre monde, les générations qui viennent, nous demandent de former des « homo philosophicus » responsables et conscients.
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