Ce n'est pas qu'il y est une pénurie de labeurs dans le secteur public, c'est le fait que la dynamique capitaliste de la plus-value, ne finance qu'au compte-goutte les activités réellement utiles mais non-rentables (cad, n’apportant à la plus value, mais au contraire, coûte à cette dernière). La gestion provoquera naturellement la sélection des ”””meilleurs”””, et éliminera les postes supposés être les moins rentables, ou les plus dispensables.
De même que dans le privé, par la logique même de l'égoïsme libéral, il règne une pénurie de carrière ; si poste créé il y a, ce sera celui qui sera en mesure de réellement justifier une utilité économique. Le culte de la rentabilité optimale pour le secteur marchand ou du moins-coûtant pour le secteur non-marchand.
Poussé par la vision micro économiste de la gestion, le culte néolibéral ira plutôt privilégier le critère marchand de la rentabilité même si elle est nuisible, que le critère non-marchand de l'utilité bienveillante. Étrangement, les labeurs de réelles utilités, la bienveillance, la « réparation sociale », la préservation, l'entraide sont négligés, dépréciés, et font l'objet de mépris, par le simple fait que la dynamique de notre système monétaire les a décrété comme des charges non-rentables, et donc dispensables.
Et comme l’effet micro-économiste est incapable de donner des carrières (et ainsi, des carrières de distinctions ou “à grades”) à l'ensemble des individus fraîchement diplômés. Les hommes seront souvent contraints de créer des activités dont on pourra douter de l'utilité réelle, voire même des activités de fausse utilité. De sorte à ce que ces diplômés puissent avoir une carrière qui, substantiellement, sera aussi là pour justifier le “grade distinctionnel” qu'ils ambitionnent et pour lequel ils ont obtenu des diplômes. Autrement dit, des gens qui font des études de cadre, pourraient être tentés d’inventer une activité de toutes pièces, dans l'unique but de légitimer le grade qui les fait rêver. Parfois, l'innovation peut avoir de bons cotés, mais si elle n'est poussée que par une logique où les hommes se contraignent à produire de la merde pour justifier leur existence dans un dogme où le travail, même s'il est « bullshit » et truffé de nuisances, est glorifié, il convient de se poser des questions sur les fondements idéologiques ou philosophiques de tout cela.
Avant d'aller plus loin, je tiens à vous préciser que ce que j'appelle le « grade » peut vous sembler être un gros mot. Considérez que ce terme n'est pas à envisager sous un angle militaire ou formel, mais comparez-le plutôt à ce que Pierre Bourdieu désignait sous le terme de distinction sociale. J’emploie le terme grade pour des raisons dialectiques pour ma démonstration.
Après une longue observation du monde, je lance le postulat que c'est le métier qui fait le grade (réel et symbolique) des individus. Dans une société humaine, il est rare qu'il y ait pas de grades. Dans bon nombre de civilisations humaines, existantes ou disparues, d’une façon ou d’une autre, il y a (ou avait) assez souvent des systèmes de hiérarchie sociale. (à part quelques exemples en Amérique précolombienne ou en Australie, qui ont été démontrés par Marcel Mauss, Claude Lévi Strauss, ou David Graeber.)
Il reste cependant à faire la lumière de quelle est l'origine de ces « grades », et qu'est ce qu'ils impliquent de nos jours. Ces grades étant historiquement et anthropologiquement déterminés par les mérites, les talents, ou “la violence de la massue”, l'homme moderne et à priori civilisé, n'a rien trouvé de mieux que de tirer la légitimité de ces grades depuis les encadrements stricts de leurs professions. Le niveau de responsabilité dans les métiers, sera le fondement de la légitimation de notre ordre social, de gratification, de morale, de justice, de mérite et de la glorification de l'effort. Ainsi, les hommes modernes se servent du travail pour déterminer leurs grades sociaux.
Face au chômage, la lutte des place est omniprésente. La demande en « poste à grade » dans une activité de réelle utilité sera incapable d'être satisfaite. Il y donc beaucoup plus de demandes en « poste à grade » que ce que le marché économique est en mesure d'en absorber. Pour pallier ce problème, il faut donc créer de la nouveauté, innover, faire tourner à outrance la « destruction créatrice » (Schumpeter) jusqu'à ce que celle-ci devienne de la création destructrice d’environnement (rapport Meadows). Nous allons donc créer de la fausse utilité pour pallier à une pénurie d'utilité réelle. Nous pourrons ainsi placer dans ces activités de fausse utilités des postes de manager, de gérants, de comptables, de marketing, de communication.
C'est par notre obligation à « faire du travail » que nous détruisons notre monde. Nous désirons « faire ce travail » pour satisfaire notre propre nécessité éthologique de séduire (cad appartenance sociale, socioculturelle), et que pour séduire, la « loi hypergamique du marché de l'amour » nous oblige à être de plus en plus gradés et solides économiquement. Cela est d'autant plus vrai depuis l’émancipation de la femme, endroit où les femmes ont elles aussi des grades, et déprimeront en se demandant pourquoi il y a de moins en moins d'hommes plus gradés qu'elles à marier. Tout simplement parce que cette hiérarchie obéit à une logique pyramidale ; plus vous gravirez les échelons, plus le marché de l'amour sera élitiste et il moins il y aura de prétendants. Les bons partis seront déjà partis. Sans même nous en rendre compte, nous avons inventé un monde de gens sophistiqués, compliqués et exigeants. Mais cela ne date pas d'hier, il y a 200 ans, Jane Austen en parlait déjà dans son œuvre « Orgueil et préjugés ».
Plus notre monde de la brillance et de la superficialité conditionnera la « nature candide de la jeunesse neuve et pas encore corrompue » à se comporter tels des êtres narcissiques et ambitieux, plus nos écoles formeront des élites de pacotille qui se chercheront de carrières éclatantes et capables de surligner les egos. Il se chercheront le « bonheur » dans des grades sociaux. C'est ainsi qu'ils se créeront de fausses utilités polluantes, juste pour gagner une place de brillance ou de sécurité dans la pyramide sociale. Simplement parce que l’utilité réelle à déjà été réalisée par d’autres avant, et que si la génération actuelle désire elle aussi, et légitimement réussir sur le plan socio anthropologique, elle sera alors contrainte de créer des domaines inutiles qui auront pour effet de donner des carrières et des grades professionnels.
Ils seront motivés à la productivité et au commerce, car ils auront en récompense de cela un accès au consumérisme séductionnel et à la reconnaissance sociale par des artifices brillants et coûteux. Des voitures de luxe, du caviar, des bijoux et des costards-à-4000-balles aussi beau que celui de Macron, la “Rolex-du-type-de-moins-de-50-ans-qui-n’a-pas-raté-sa-vie”, ainsi que toutes autres émissions de signifiants de puissance. Marx parlait du « fétichisme de la marchandise », Veblen parlait de la « consommation ostentatoire », Guy Debord parlait de « la société du spectacle ». Rappelons nous aussi de Christopher Larch ou de Cornelius Castoriadis qui nous parlaient du “narcissisme de la représentation sociale”.
La superficialité de l'individu étant, a priori, prégnante à sa distinction sociale, nous ne faisons que créer des responsabilités dans de fausses utilités, pour que les autres disent de nous que nous sommes puissants et responsables. Ainsi, nous semblons mériter notre “place” sur le « marché de l'amour hypergamique », ou tout simplement dans une société qui ne dispose pas encore de l’imaginaire requis pour passer à l’étape socio-anthropologique suivante.
Depuis 2 siècles, les mérites économiques et les mérites de responsabilités professionnelles ont remplacé la monarchie de droit divin. Avec la révolution, nous avions pensé résoudre le problème de la tyrannie des rois ou de la féodalité, mais nous avons créés de nouveaux soucis. Dorénavant tout homme, même s'il est roturier, se suppose parfaitement capable de devenir lui-même un « roi » grâce aux mérites de l'argent et de la liberté des mondes marchands. Le problème est que de nos jours, grâce à (ou à cause de) la liberté libérale d'entreprendre, tout le monde se donne la permission de devenir un « roi » plus puissant que le « roi » d'à côté.
Le problème étant que le chômage chronique (qui est en partie provoqué par le fait que ce qui était pertinent à faire a déjà été réalisé par les générations précédentes), nous mène à la situation où nous sommes en manque cruels des tâches de réelles utilité qui détermineront nos niveaux de responsabilités dans la société. Et de là, la difficulté de déterminer ou de trouver une légitimité aux grades sociaux des générations futures. L'ordre social étant fixé de façon morale, “juste” et méritocratique par le statut professionnel, s'il n'y a plus de professions, il n'y a plus de méritocratie, et il devient extrêmement malaisé aux hommes de légitimer un ordre hiérarchique et social. Il semblerait donc que les hommes aient le besoin psychologique, sociologique, éthologique et/ou anthropologique de se fabriquer des systèmes hiérarchiques ; je suis darwiniste, après tout, nous ne sommes que des “animaux qui ont mal évolué”. Je devine cependant, que nous avons besoin d’un déclic intellectuel et philosophique pour enfin dépasser ce pitoyable état de “presque encore animal”.
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