L’économiste japonais Kaya a proposé dans les années 1990 une équation qui met en relief les paramètres sur lesquels il nous faut jouer pour limiter les émissions de CO2 anthropique (produit par l’activité humaine, c’est-à-dire nous, c’est-à-dire entre autres moi personnellement et vous personnellement avant les autres). Et ce que personnellement je trouve très intéressant dans cette équation, c’est qu’elle met en relief à la fois les dimensions qualitatives du problème (sur quoi on doit agir) et sur ses dimensions quantitatives (dans quelles mesures on doit agir).
Commençons par quelque chose de très simple.
Maintenant nous allons faire une opération qui vous est accessible depuis très longtemps déjà. Nous allons diviser un terme par une valeur, puis remultiplier par la même valeur pour retourner au terme de départ. Quiconque s’est amusé avec une calculatrice sait que si on divise quelque chose par 3 et qu’on remultiplie par 3, on retombe sur le quelque chose de départ.
Divisons le terme de droite par E, soit l’énergie consommée, et remultiplions par E pour conserver notre égalité de départ.
Le terme C02/E est la quantité de CO2 émise par unité d’énergie consommée : plus ce rapport est grand, plus la consommation énergétique est polluante, plus ce rapport est petit, moins la consommation énergétique est polluante en CO2.
Mais, me direz-vous, pourquoi consomme-t-on de l’énergie? Pour répondre à nos besoins, c’est-à-dire pour faire tourner l’économie. Pas d’énergie, pas d’économie. Et pourquoi ferait-on tourner l’économie? Pour générer de la richesse matérielle et du confort.
Rendus là, nous allons introduire la notion de PIB (Produit Intérieur Brut) qui est un indicateur de la richesse consumériste produite par une communauté. Comme plus haut, nous allons diviser puis re multiplier la partie droite de l’équation, mais cette fois par le PIB.
Le terme E/PIB est la mesure de l’inefficacité énergétique : plus ce rapport est grand, plus il nous faut d’énergie pour générer un dollar ou un euro de richesse matérielle, plus ce rapport est petit, moins il me faut d’énergie pour générer la même richesse.
Mais, me direz-vous, pourquoi générer du PIB, c’est-à-dire des richesses matérielles? Pour s’assurer notre confort matériel. Ni vous ni moi ne voulons passer l’hiver tous nus à se nourrir de neige, et puis tant qu’à faire, pourquoi ne pas se payer des vacances dans le sud, avoir une grande maison, deux grosses voitures, un chalet… Et ces richesses produites par la communauté, on se les partage (très in-équitablement je vous le concède) au sein de la communauté.
C’est pourquoi rendus là nous allons introduire la notion de POPulation qui est un indicateur du nombre de personnes entre lesquelles partager la richesse matérielle produite. Comme plus haut, nous allons diviser puis re multiplier la partie droite de l’équation, mais cette fois par la POPulation.
Vous avez devant vos yeux l’équation de Kaya et tous ses paramètres. En utilisant les libellés descriptifs de chaque paramètre, on obtient l’équation de Kaya sous sa forme textuelle : « les émissions anthropiques de CO2 d’une population sont égales à la nuisance énergétique, multipliée par l’inefficacité énergétique, multipliée par la richesse matérielle individuelle produite, multipliée par l’effectif de la population. »
Pour espérer ne pas dépasser le 2ºC de réchauffement climatique global, qui serait catastrophique, il nous faut diviser par trois nos émissions anthropiques totales de CO2 d’ici 2040.
Examinons nos paramètres.
Pourrons-nous diminuer par trois la population d’ici 2040? Je suis certain que non, et vous aussi. Heureusement il nous reste encore un peu d’éthique. Nous ne nous attarderons par sur des solutions aussi imaginatives que cruelles et barbares pour procéder à une telle diminution de la population.
Alors abordons la question avec plus de réalisme. Pouvons-nous ne pas augmenter la population d’ici 2040, et donc faute de la diminuer, pouvons-nous la stabiliser? Je suis pas mal certain que non, et vous aussi probablement. Je me rappelle il y a quelques années lorsque le Collège des Médecins du Québec avait soulevé avec ironie que le gouvernement québécois soutenait financièrement les soins à la procréation médicalement assistée tout en encourageant à la stabilité populationnelle. La remarque les avait fait traiter par la population de fachos, de tarés, de criminels, de malthusiens. Vous noterez que le Collège n’avait rien proposé, il avait juste fait une remarque amusée, et qu’il s’était sans le vouloir fait candidat parfait pour la vindicte populaire. Une chance que les jeux romains et leurs lions soient chose du passé.
Non, la population ne sera pas stabilisée. Si vous croyez le contraire je vous encourage à vous débarrasser au plus vite de votre collection de Bisounours et de Calinours.
Les démographes nous parlent d’une augmentation de la population d’un facteur 1,6 de 2010 à 2040.
Ce qui augmente d’autant la pression sur les autres paramètres.
Reprenons notre équation et abandonnons toute forme d’espoir vain sur la population.
Regardons ce qu’il est possible de faire du côté de l’inefficacité énergétique, soit E/PIB. On peut faire de nombreuses choses : amélioration de l’efficacité thermique des bâtiments, production alimentaire locale, etc.
Remarquons d’ores et déjà que si la pression augmente de 1,6 sur la population, il faut la diminuer de 1,6 x 3 (n’oubliez pas qu’on doit diminuer d’un facteur 3 le tout) sur les autres facteurs, ce qui donne une diminution de pression obligatoire de 5 sur le tout sauf population.
Il se trouve que l’efficacité énergétique est quelque chose qui est soumis à …. (rrrrrrrrrrrrroulements de tambour)… le sujet central de ce blogue… l’efficacité énergétique est soumise à… TADAAAAAM… DES LIMITES PHYSIQUES (Hey que vous êtes bons! )
Non, on ne peut pas faire de voiture efficace à 100%, parce qu’elle est lourde, parce que ça frotte sur la route, parce qu’il y a le frottement du vent, parce qu’il faut chauffer en hiver au Québec… etc. Non, on ne peut pas faire de frigo efficace à 100% parce qu’il y aura toujours des fuites thermiques, etc.
Mais on peut faire des choses intéressantes quand même en matière d’efficacité énergétique. C’est sûr qu’un potager local qui ne consomme aucune énergie industrielle et qui nourrit ses hommes est autrement plus efficace que des denrées qui ont parcouru une moyenne de 3000 km entre le champs et l’assiette. Mais non, on ne diminuera pas la pression de l’inefficacité énergétique d’un facteur 5 en se contentant de faire pipi sous la douche (pas trop chaudes ni trop nombreuses les douches ). Il faut changer le monde tel que nous le connaissons pour pour gagner en efficacité énergétique. On n’a pas un siècle pour le faire, on a 20 ans (on en a trente, mais si je dis trente les gens vont se dire qu’on peut faire ça en 40 ans, alors je prends mes précautions d’avance ).
Maintenant intéressons-nous à un autre facteur : la nuisance énergétique.
Nous avons vingt ans pour diminuer très drastiquement la nuisance énergétique CO2/E, ou plutôt pour augmenter de plusieurs fois la décarbonation énergétique (rappelez-vous, on doit diminuer d’un facteur cinq la combinaison énergie carbonée et richesse individuelle – ouch! ça va faire mal!).
On a vingt ans pour se passer de plusieurs fois des énergies fossiles, sachant que l’énergie fossile est incontournable pour manufacturer les panneaux solaires, les batteries, les éoliennes et les barrages, et – attention les yeux sortez les mouchoirs et criez votre colère – mettre en place d’éventuelles centrales nucléaires. On ne rentrera pas aujourd’hui dans le débat de quel mix énergétique privilégier, ça viendra plus tard, gardez votre enthousiasme. Mais clairement il est question de changer les mix énergétiques d’à peu près tout le monde. Et on n’a pas 50 ans pour le faire. On n’en a pas 40. On a peut-être 30 ans, mais la vigilance suggère plutôt 20. Pour atteindre une limite que l’on sait déjà catastrophique.
Regardons – ouch ça va faire mal – si un peu d’espoir est permis au niveau de la richesse individuelle moyenne, soit PIB/POP (la richesse produite en PIB rapportée à la population pour avoir un indicateur individuel moyen).
Êtes-vous prêt(e) pour une diminution de vos revenus de 50%? Excusez-moi, c’est peut-être intense… 20% peut-être?
Ou alors aucune augmentation, jamais?
Et que va-t-il se passer si on ne baisse pas radicalement nos émissions anthropiques de CO2?
Alors? Comment va-t-on pouvoir satisfaire aux contraintes de l’équation de Kaya sans que la société crashe au grand complet?
Je vous laisse quelques nuits passer là-dessus, ce sera le sujet du prochain billet.
Je ne crois pas qu’annoncer qu’il va falloir changer le monde, en profondeur, et vite, n’est ni une exagération, ni un scoop!
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