Par Jean-Christophe Duval
Chaque matin, nous nous empressons d’avaler un café, de réveiller les gosses un bisou en vitesse, petit déjeuner, douche et c’est reparti pour un jour de liberté et de course au bonheur par les bienfaits indiscutables de l’émancipation économique.
Nous nous engouffrons dans les embouteillages et les sempiternelles symphonies des klaxons. Au volant des voitures que nous dépassons inlassablement et qui inlassablement nous dépassent, nous observons émerveillés, le spectacle des gens pressés de réussir ou de survivre économiquement. Comme chaque matin, l’autoradio est allumé et réglé sur les nouvelles. Telle ou telle entreprise a mis la clé sous la porte licenciant quelques milliers de personnes. Demain à qui le tour ? Vous peut-être ? Dans votre rétroviseur gauche ce livreur qui prendra tous les risques en vous dépassant de façon à rattraper les quelque 10 minutes qu’il a perdu sur son timing à cause d’un client en retard. Et cette maman qui coure en tirant rageusement ses deux enfants. Un dernier câlin ? Pas le temps ! Une consigne à la nourrice, puis elle redémarre sa voiture sans perdre une seconde. Ici se déroule le quotidien habituel des esclaves de la servitude « alimentaire ».
Ici, le temps semble être de l’argent car nos entreprises le doivent aux banques et si elles veulent survivre, il est important de montrer leur efficacité en termes de gestion et de leur capacité à prendre des parts de marchés dans un monde où nous sommes de plus en plus nombreux à nous partager les parts d’un gâteau qui n’est plus assez grand pour nourrir tout le monde. Et s’il n’est plus assez grand pour nourrir les ambitions de tous, alors il ne nourrira que les meilleurs, ceux qui auront survécu au gladiatora que la lutte des places et des marchés nous impose cette fameuse liberté déifiée. Les perdants continueront d’alimenter la pile des cadavres sociaux, ceux qui n’ont pas eu assez de mordant, de ténacité, d’intelligence, de créativité, de « machiavélisme de pause café ». Ainsi va la méritocratie, la justice et la morale dans le monde impitoyable de la monnaie que nos patrons doivent à des banques, rendant la masse salariale toujours trop chère et donc l'emploi toujours plus dispensable, l'humain toujours plus corvéable. Toujours plus de rentabilité, de performances, d’innovations, de luttes de tous contre tous. Le jeu des chaises "musiciales".
Tout le monde marche sur la gueule de tout le monde, où les bas fonds, tellement profonds, qu’on a perdu toutes nos sondes. Et entraînés dans cette ronde, ils courent, oublient ce qui les fonde et puis d’eux mêmes, deviennent les ombres.
Nos éducations ne nous mènent que très rarement à nous questionner sur la pertinence de nos actions sur la société et la nature. Et lorsque certains parviennent à décrypter le code méandrique entre les choses économiques, sociales et les répercutions négatives de nos actes sur nos vies et sur la vie, la tâche révolutionnaire nous semble tellement énorme que nous semblons d’avance résignés. Nous sommes souvent bien seuls face à la conformité hyper laborante. Le reste de la bonne société nous ressasse, « C’est comme ça ! ». L’aliénation disait Marx. Seuls les fous et une certaine catégorie d’outsiders sociaux tels que moi semblent vouloir relever le défit de « réveiller tous les autres ».
L’absurdité de nos vies se résume dans le fait que cette obligation morale de travail devient une obligation de performance perpétuelle de tous contre tous, dans la mesure où le travail se raréfiant, les places deviennent de plus en plus chères, poussant le niveau méritocratique et les critères de performances individuels de plus en plus haut. Le plus fou, c’est que notre système de croissance se base essentiellement sur une économie extractive, le pillage des ressources naturelles. Ainsi, le plus méritant sera automatiquement celui qui sera d’une certaine manière le plus destructeur ou donnant le plus de sa contribution à un système de nuisance paradigmatique et socialement organisée. On nous dit de ne pas nous poser de questions, tout est normal, moral.
Le travail pourrait être réparateur et donnant vers la précaution sociale et écologique, mais lorsque les axes de celui-ci sont déterminés par une finance qui ne sait tirer sa raison que par la transformation de ressources naturelles en capital, c’est tout le contraire qui se réalise. Nous ne réparons pas la nature parce que ce n’est pas rentable, nous la pillons parce que c’est rentable.
L’argent rentier anime les consciences humaines de la rareté, du temps et de la lutte de tous contre tous, (la dialectique du fouet). Les craintes de mises à l’écart pour manquement à la performance éteignent nos jours et allument nos nuits. Demain ne sera jamais un autre jour, mais un jour comme tous les autres. Un de ces jours où il nous sera ordonné d'être encore plus fous pour survivre.
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