Par Jean-Christophe Duval
Après observation, réflexion, et débats avec des partisans de l’école de la pensée libérale, il me semble que ces gens n’envisagent la solidité d’un système monétaire et économique que depuis le fait que la monnaie de ce système n’ait été créée qu’en contrepartie d’une activité marchande, productiviste et nécessairement extractive. À priori, une monnaie qui aurait été diffusée par un pur acte de « planche à billets » à destination de tout un chacun et en contrepartie de rien de productiviste de leur part, serait sans doute propice au déclenchement d’une (hyper) inflation. Ainsi et selon ce raisonnement, toute monnaie en circulation dans l’économie ne doit son existence que si une contrepartie « matérielle », marchande ou un service afférent y est adossé. Comme les services marchands et les marchandises en circulation dans l’économie sont en quantité définie « en miroir » de la création de monnaie par les banques, seule une quantité strictement nécessaire de monnaie doit être émise « en face » pour rendre possible l’échange fluidifié de ces marchandises.
Cette logique porte le nom de théorie quantitative de la monnaie ou « orthodoxie monétaire », elle est traditionnellement portée par les libéraux, puis, depuis les monétaristes de l’école de Chicago tels que Milton Friedman, Gary Becker ou Murray Rothbard, les néolibéraux.
Ce monde « merveilleux » ne serait possible que s’il n’existait que des produits et services marchands (une émission de monnaie adossée à la quantité de marchandises ou de services marchands en circulation) dans l’économie, mais dans la réalité ce n’est pas le cas. Les services régaliens (police, justice, armée) ne sont certainement pas les seuls domaines qui relèvent de la volonté d’état, il y a aussi l’enseignement, la santé, les services publics. À cette liste, nous devons ajouter une grande nouveauté, il y aura sans doutes la prise en charge de la réparation des externalités négatives provoquées préalablement par les activités productivistes et, cerise sur le gâteau, la transition écologique et sociale.
On dit souvent que la transition écologique est compliquée à financer. « Compliqué » est un euphémisme visant à minimiser le fait que c’est quasiment impossible, du moins avec notre système monétaire et financier actuel. Comprenons que, d’une part, cette transition écologique est truffées de domaines dont le retour sur investissement est illusoire d’un point de vue « particulier » et spéculatif. Le seul retour sur investissement qui aura lieu ne se fera que sur les générations et concernera le bien commun dans tout son ensemble. Le fait est que personne n’est prêt à miser sa richesse « à fonds perdus » pour des projets qui ne les concerne pas directement ou même pas, leurs descendances directes. Comment peut-on envisager l’idée que des banquiers, des financiers, des traders, des épargnants puissent donner de leur argent pour des projets dont le retour sur investissement est illusoire et ne concernera que le bien commun ? Ce n’est déjà pas le cas avec une « fiat monnaie quantitative », imaginez avec l’or ! Pour rappel, l'institut international de l'énergie estime le coût de la transition écologique et énergétique à environs 80 000 milliards de Us$.
L’homo œconomicus « œgoïstus » ne fonctionne pas comme cela, son système financier encore moins. La seule façon de faire payer des particuliers pour des projets qui relèvent d’une logique publique ou de bien commun, c’est l’impôt ou, si les caisses sont vides, par le gonflement de la dette publique qui sera plus tard à rembourser par l'impôt. Mais comment faire pour prélever rapidement par l’impôt 80 000 milliards de dollars par la fiscalité dans un monde où les égoïstes jouent à cache-cache dans les paradis fiscaux ? 80 000 milliards c’est grosso modo le PIB mondial et c’est le coût mondial de la transition écologique ! C’est-à-dire le prix « marchand » de la planète ! De surcroît, ces 80 000 milliards proviendraient de l’économie extractive ! Que ce soit à termes d’avance (monnaie dette) ou à termes échus (fiscalité), cela reviendrait à créer une dette pour sauver le monde, puis tuer le monde pour rembourser cette dette.
Hormis les parties de cache-cache offshores et sachant que l’impôt n’est qu’une particule minime des recettes marchandes, il faudrait l’équivalent de combien de planète Terre pour sauver la planète Terre ?
Pourtant, si nous sommes parvenus en 1 800 à financer la révolution industrielle, c’est parce que nous avons « avancé » les moyens afin qu’elle se réalise. C’est sous ce même raisonnement et cette même méthode qu’il faudra faire la transition écologique.
Par ailleurs actuellement, le système financier privé dont nous disposons relève essentiellement d’une logique rentière et court-termiste. Le fait est la logique néolibérale ne consent à diffuser de la monnaie que pour des projets rentables. Le problème est bien trop grand, bien trop gros, pour envisager la méthode néolibérale en croyant naïvement que des marchés supposément « efficients » pourraient être capables de l’absorber. Pour rappel, en 2017, nous devions baisser de 3 % nos émissions de GES (gaz à effet de serre), nous sommes à +3,2 % ! Et les prévisions ne sont guère plus reluisantes pour les années qui viennent ! En d’autres termes, la méthode néolibérale échoue et nous emmène dans le mur avec elle !
Ronald Coase le disait lui-même : Les hommes ne polluent pas pour le plaisir de polluer. Les hommes polluent simplement parce que c’est la manière la moins coûteuse de produire.
La pollution et la dégradation sociale ne provient de rien d’autre que du souci des hommes à produire pour pas cher. La monnaie (si elle est empruntée) est une rente à devoir aux banques (une dette) qui contraint les hommes à la maximisation des revenus, la dynamique étant de négliger la précaution et le respect (loi dynamique du matérialisme) et de provoquer toute sorte d'externalités négatives. Comprenons que la philanthropie n’est pas vraiment la vertu première des spéculateurs et des ambitions humaines soumises à une monnaie rentière. Pour vous en convaincre, vous n’avez qu’à compter le nombre de millionaires humanistes et écologistes et le nombre de comptes offshores dans les paradis fiscaux.
Fort de ces constats, il semble qu’une méthode hétérodoxe (Keynes, MMT) ne puisse probablement qu’être la solution la plus pertinente face aux défis climatiques et sociaux.
Et si nous créions (c’est-à-dire, les banques centrales) une monnaie directement à dessein de la transition écologique et sociale ? Que les banques centrales (ou encore la BEI / BRI) diffuseraient directement les budgets des entreprises œuvrant pour la réparation et la préservation écologique ? Comme à l’habitude, les néolibéraux nous brandiront leurs épouvantails préférés : l’(hyper)inflation !
Mais je me pose certaines questions :
-Est-il possible de donner à la monnaie une valeur (Cad, une valeur au sens légitimité et crédibilité culturelle du système monétaire, je ne parle pas ici du débat "valeur selon la MMT") autre que celle provenant d’une économie extractive. Autrement dit, la seule monnaie qui semble « valoir le coût » (le coup ?) doit-elle provenir forcément depuis une économie extractive, productiviste et souvent, nuisible ?
-Est-ce qu’une monnaie qui aurait pour l’origine de sa création, le financement de la réparation environnementale serait considérée comme une monnaie de « seconde zone » quelque chose de bancale ? Un fléau « démagogique » propice à une crise de confiance monétaire ? Un dumping ? Une guerre des devises ? Le dilemme de Triffin ?
Quels sont les facteurs qui pourraient engendrer une crise de confiance en cette monnaie ? Une entente mondiale ne serait-elle pas la solution ?
Chers amis économistes, le débat est ouvert.
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